Les Mains Pleines de Rose, Pleines dOr et Pleines de Sang | Page 9

Arsène Houssaye
comtesse de Sancy avait depuis huit jours, dans son chateau, ces messieurs et ces dames, qui sont le tout Paris de l'Op��ra et des courses.
Georges du Quesnoy avait longtemps h��sit�� �� affronter le feu. C'��tait son premier duel avec la vie; il r��solut d'��tre brave et de sourire au premier sang, car il ne doutait pas qu'il ne f?t le point de mire de beaucoup de railleries plus ou moins directes: les Parisiens sont des francs-ma?ons qui font toujours subir une rude entr��e aux provinciaux.
?Apr��s tout, disait Georges, ils ne me mangeront pas.?
Il savait bien, d'ailleurs, qu'il n'��tait pas plus b��te qu'un autre. Il avait eu le prix d'excellence au coll��ge de Soissons,--ce qui n'��tait pas une raison, puisque le g��nie n'a pas souvent de pr��sence d'esprit,--mais en outre ses camarades lui accordaient une certaine ��loquence humouristique. Ce n'��tait certes ni l'humour de Sterne, ni de Hogarth, ni de Heine, ni de Stendhal. On ne revient pas si jeune de Corinthe. Mais il y avait toujours du charme dans sa causerie, parce que la gaiet�� y jaillissait des questions plus graves.
Il ��tait moins content de son habillement que de son esprit, car apr��s tout on peut apprendre �� lire Hom��re et Platon �� Soissons comme �� Paris, mais les tailleurs de Soissons n'ont pas encore le coup de ciseau des tailleurs de Paris. Il avait eu beau s'��tudier devant son miroir, en se donnant des airs de d��sinvolture; il avait eu beau se coiffer �� la derni��re mode; il avait eu beau se relever la moustache: il y avait encore en lui je ne sais quoi de soissonnais qui marquait trop le terroir. Heureusement il ne se jugeait pas; il ��tait trop habitu�� �� lui-m��me pour se critiquer �� propos; il trouvait m��me que son p��re et sa m��re n'avaient pas trop mal travaill��, car j'oubliais de dire qu'il avait une belle t��te, peut-��tre un peu f��minine, �� force de jeunesse, mais qui promettait de prendre du caract��re. Le profil ��tait m��me d'un dessin s��v��re, mais l'oeil bleu de pervenche ��tait trop doux. On e?t dit des yeux d'hiver ou tout au plus de printemps, car ils ne jetaient pas de flammes vives; peut-��tre le volcan dormait-il sous la neige, peut-��tre la passion devait-elle allumer ces yeux-l��.
Georges du Quesnoy n'��tait pas trop mal chauss��; aussi, d��s son entr��e dans le salon du chateau, la comtesse dit-elle �� une des ses amies: ?N'est-ce pas qu'il a de jolis pieds pour des pieds de province??
Quand un domestique dit son nom �� la porte, il se sentit palir et chanceler, il salua �� droite et �� gauche sans savoir son chemin. Il alla tr��bucher contre un coussin et donna de la t��te sur l'��ventail de la jolie Mme de Fromentel, qui dit tout haut �� une de ses amies: ?Ce jeune homme est terrible, un peu plus il m'arrivait en pleine poitrine.? Georges du Quesnoy ��tait revenu �� lui �� ce point qu'il hasarda ces paroles: ?Je ne me serais pas cass�� la t��te, madame.? Mme de Fromentel ne savait si elle devait rougir ou se facher.
?Voyez-vous, monsieur, lui dit-elle avec une pointe d'impertinence, c'est parce que vous n'y voyez pas avec votre lorgnon dans l'oeil.?
--C'est parce que j'avais peur d'��tre ��bloui, madame.?
On disait la bonne aventure au voisinage, non pas avec les cartes ni avec le marc de caf��, mais en lisant dans les mains:
?Vous n'y entendez rien, dit tout �� coup la ma?tresse de la maison �� la sibylle. Monsieur du Quesnoy, savez-vous pr��dire l'avenir en lisant dans les mains?
--Puisque je sors du coll��ge, je sais tout, dit Georges, en s'effor?ant de sourire.
--Eh bien, vous allez commencer par moi.?
Georges du Quesnoy commen?a bien: la dame avait trente ans pass��s; or, en lui prenant la main, voil�� quelles furent ses premi��res paroles: ?Madame la comtesse, quand vous aurez vingt-huit ans, vous traverserez des p��rils sans nombre!? Jusque-l�� tout le monde avait regard�� le nouveau venu avec le froid d��dain des gens qui sont au spectacle de la b��tise humaine. On s'��tait quelque peu mis �� rire en le voyant se jeter le lorgnon dans l'oeil sur l'��ventail de Mme de Fromentel; on l'avait compar�� �� un ��cuyer du cirque qui va traverser un cerceau de papier; mais quand on vit qu'il n'��tait pas trop d��pays��, on r��p��ta de bouche en bouche que le coll��gien n'��tait pas si b��te qu'il en avait l'air.
Un rayon presque sympathique tomba sur lui, on se demanda qui il ��tait et d'o�� il venait. On ne fut pas fach�� d'apprendre que son p��re ��tait une des personnalit��s de la magistrature, demi-noblesse de robe qui lui donnait ses petites entr��es dans ce chateau h��raldique s'il en fut. Puisque ce n'��tait pas le dernier venu, on pouvait lui permettre d'avoir de l'esprit, aussi toutes les femmes voulurent lui donner la
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