par les mauvais temps, avait soin de s'ombrager du soleil, ne lavait guère de lessives et ne faisait point oeuvre de ses quatre membres pour la fatigue.
Vous croiriez peut-être qu'elle était paresseuse? Point. Elle faisait toutes choses dont elle ne se pouvait dispenser, tout à fait vite et tout à fait bien. Elle avait trop de raisonnement pour laisser perdre le bon ordre et la propreté dans son logis et pour ne point prévenir et soigner son grand-père comme elle le devait. D'ailleurs, elle aimait trop la braverie pour n'avoir pas toujours quelque ouvrage dans les mains: mais d'ouvrage fatigant, elle n'en avait jamais ou? parler. L'occasion n'y était point, et on ne saurait dire qu'il y e?t de sa faute.
Il y a des familles où la peine vient toute seule avertir la jeunesse qu'il n'est pas tant question de s'amuser en ce bas monde, que de gagner son pain en compagnie de ses proches. Mais, dans le petit logis au père Brulet, il n'y avait que peu à faire pour joindre les deux bouts. Le vieux n'avait encore que la septantaine, et, bon ouvrier, très-adroit pour travailler la pierre (ce qui, vous le savez, est une grande science dans nos pays), fidèle à l'ouvrage et vivement requis d'un chacun, il gagnait joliment sa vie, et, grace à ce qu'il était veuf et sans autre charge que sa petite-fille, il pouvait faire un peu d'épargne pour le cas où il serait arrêté par quelque maladie ou accident. Son bonheur voulut qu'il se maint?nt en bonne santé, en sorte que, sans conna?tre la richesse, il ne connaissait point la gêne.
Mon père disait pourtant que notre cousine Brulette aimait trop la bienaiseté, voulant faire entendre par là qu'elle aurait peut-être à en rabattre quand viendrait l'heure de s'établir. Il convenait avec moi qu'elle était aussi aimable et gentille en son parler qu'en sa personne; mais il ne m'encourageait point du tout à faire brigue de mariage autour d'elle. Il la trouvait trop pauvre pour être si demoiselle, et répétait souvent qu'il fallait, en ménage, ou une fille très-riche, ou une fille très-courageuse. ?J'aimerais autant l'une que l'autre à première vue, disait-il, et peut-être qu'à la seconde vue, je me déciderais pour le courage encore plus que pour l'argent. Mais Brulette n'a pas assez de l'un ni de l'autre pour tenter un homme sage.?
Je voyais bien que mon père avait raison; mais les beaux yeux et les douces paroles de ma cousine avaient encore plus raison que lui avec moi et avec tous les autres jeunes gens qui la recherchaient: car vous pensez bien que je n'étais pas le seul, et que, dès l'age de quinze ans, elle se vit entourée de marjolets de ma sorte, qu'elle savait retenir et gouverner comme son esprit l'y avait portée de bonne heure. On peut dire qu'elle était née fière et connaissait son prix, avant que les compliments lui en eussent donné la mesure. Aussi aimait-elle la louange et la soumission de tout le monde. Elle ne souffrait point qu'on f?t hardi avec elle, mais elle souffrait bien qu'on y f?t craintif, et j'étais, comme bien d'autres, attaché à elle par une forte envie de lui plaire, en même temps que dépité de m'y trouver en trop grande compagnie.
Nous étions deux, pourtant, qui avions permission de lui parler d'un peu plus près, de lui donner du toi, et de la suivre jusqu'en sa maison quand elle revenait avec nous de la messe ou de la danse. C'était Joseph Picot et moi; mais nous n'en étions pas plus avancés pour ?a, et peut-être que, sans nous le dire, nous nous en prenions l'un à l'autre.
Joseph était toujours à la métairie de l'Aulnières, à une demi-lieue de chez Brulet et moitié demi-lieue de chez moi.
Il avait passé laboureur, et sans être beau gar?on, il pouvait le para?tre aux yeux qui ne répugnent point aux figures tristes. Il avait la mine jaune et maigre, et ses cheveux bruns, qui lui tombaient à plat sur le front et au long des joues, le rendaient encore plus chétif dans son apparence. Il n'était cependant ni mal fait, ni malgracieux de son corps, et je trouvais, dans sa machoire sèchement coudée, quelque chose que j'ai toujours observé être contraire à la faiblesse. On le jugeait malade parce qu'il se mouvait lentement et n'avait aucune gaieté de jeunesse; mais, le voyant très-souvent, je savais qu'il était ainsi de sa nature et ne souffrait d'aucun mal.
C'était pourtant un ouvrier très-médiocre à la terre, pas très-soigneux aux bestiaux, et d'un caractère qui n'avait rien d'aimable.
Son gage était le plus bas qu'on puisse payer dans un domaine à un valet de charrue, et encore s'étonnait-on que son ma?tre le voul?t bien garder si longtemps, car il ne savait rien faire prospérer aux champs ni à l'étable.
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.