Les Maîtres sonneurs | Page 4

George Sand
prend, on se quitte; mais, au catéchisme, qui dure un an et souvent deux, faut se supporter ou s'entr'aider cinq ou six heures par jour. Nous partions en bande, le matin, à travers les prés et les patureaux, par les traquettes, par les échaliers, par les tra?nes, et nous revenions, le soir, par où il plaisait à Dieu; car nous profitions de la liberté pour courir de tous c?tés comme des oiseaux folatres. Ceux qui se plaisaient ensemble ne se quittaient guère, ceux qui n'étaient point gentils allaient seuls ou s'entendaient ensemble pour faire des malices et des peurs aux autres.
Joseph avait sa manière, qui n'était ni terrible ni sournoise, mais qui n'était pas non plus bien aimable. Je ne me souviens point de l'avoir jamais vu bien réjoui, ni bien épeuré, ni bien content, ni bien faché d'aucune chose qui nous arrivait. Dans les batailles, il ne se mettait point de c?té et recevait les coups sans savoir les rendre, mais sans faire aucune plainte. On e?t dit qu'il ne les sentait pas.
Quand on s'arrêtait pour quelque amusette, il s'en allait seoir ou coucher à trois ou quatre pas des autres, et ne disant mot, répondant hors de propos, il avait l'air d'écouter ou de regarder quelque chose que les autres ne saisissaient point: c'est pourquoi il passait pour être de ceux qui voient le vent. Brulette, qui connaissait sa lubie et qui ne voulait pas s'expliquer là-dessus, l'appelait quelquefois sans qu'il lui répond?t. Alors elle se mettait à chanter, et c'était la manière certaine de le réveiller, comme quand on siffle pour dérouter ceux qui ronflent.
Vous dire pourquoi je me pris d'attache pour un camarade si peu jovial, je ne saurais, car j'étais tout son contraire. Je ne me pouvais point passer de compagnie et j'allais toujours écoutant et observant les autres, me plaisant à discourir et à questionner, m'ennuyant seul et cherchant la gaieté et l'amitié. C'est peut-être à cause de ?a que, plaignant ce gar?on sérieux et renfermé, je m'accoutumais à imiter Brulette, qui toujours le secouait et; par là, lui rendait plus d'office qu'elle n'en recevait, et supportait son humeur plus qu'elle ne la gouvernait. En paroles, elle était bien la ma?tresse avec lui, mais comme il ne savait suivre aucun commandement, c'était elle, et c'était moi par contre-coup, qui étions à sa suite et patientions avec lui.
Enfin, le jour de la première communion arriva, et, en revenant de la messe, j'avais fait si ferme propos de ne me point laisser aller à mes vacarmes, que je suivis Brulette chez son grand-père, comme le plus raisonnable exemple qui me p?t retenir.
Tandis qu'elle allait, par commandement de la Mariton, tirer le lait de sa chèvre, nous étions restés, Joseph et moi, dans la chambre où mon vieux oncle causait avec sa voisine.
Nous étions occupés à regarder les images de dévotion que le curé nous avait données en souvenir du sacrement, ou, pour mieux dire, je les regardais seul, car Joseph songeait d'autre chose, et les maniait sans les voir. Or, on ne faisait plus attention à nous, et la Mariton disait à son vieux voisin, à propos de notre première communion:
--Voilà une grande affaire gagnée, et, à cette heure, je pourrai louer mon gars. C'est ce qui me décide à faire ce que je vous ai dit.
Et comme mon oncle secouait la tête tristement, elle reprit:
--écoutez une chose, voisin. Mon Joset n'a point d'esprit. Oh ?a, tant pis, je le sais bien; il tient de défunt son pauvre cher homme de père, qui n'avait pas deux idées par chaque semaine, et qui n'en a pas moins été un homme de bien et de conduite. Mais c'est tout de même une infirmité que d'avoir si peu de suite dans le raisonnement, et quand, par malheur avec ?a, on tombe dans le mariage avec une tête folle, tout va au plus mal en peu de temps. C'est pourquoi je m'avise, à mesure que mon gar?on grandit par les jambes, que ce n'est point sa cervelle qui le nourrira, et que, si je lui laissais quelques écus, je mourrais plus tranquille. Vous savez le bien que fait une petite épargne. Dans nos pauvres ménages, ?a sauve tout. Je n'ai jamais pu rien mettre de c?té, et il faut croire que je ne suis plus assez jeune pour plaire, puisque je ne trouve point à me remarier. Eh bien, s'il en est ainsi, la volonté de Dieu se fasse! Je suis toujours assez jeune pour travailler, et puisque m'y voilà, apprenez, mon voisin, que l'aubergiste de Saint-Chartier cherche une servante; il paye un bon gage, trente écus par an! et il y a les profits, qui montent environ à la moitié. Avec ?a, forte et réveillée comme je me sens d'être, en dix années, j'aurai fait fortune, je me serai
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