Les Maîtres sonneurs

George Sand
Les Maîtres sonneurs, by George
Sand

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Title: Les Maîtres sonneurs
Author: George Sand
Release Date: January 2, 2007 [EBook #20254]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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MAÎTRES SONNEURS ***

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GEORGE SAND

LES MAÎTRES SONNEURS
PARIS LIBRAIRIE NOUVELLE BOULEVARD DES ITALIENS, 15,
EN FACE DE LA MAISON DORÉE Paris.--IMP. DE LA LIBRAIRIE
NOUVELLE.--A. Delcambre, 15, rue Breda. La traduction et la
reproduction sont réservées 1857
* * * * *

À MONSIEUR EUGÈNE LAMBERT.
Mon cher enfant, puisque tu aimes à m'entendre raconter ce que
racontaient les paysans à la veillée, dans ma jeunesse, quand j'avais le
temps de les écouter, je vais tâcher de me rappeler l'histoire d'Etienne
Depardieu et d'en recoudre les fragments épars dans ma mémoire. Elle
me fut dite par lui-même, en plusieurs soirées de breyage; c'est ainsi, tu
le sais, qu'on appelle les heures assez avancées de la nuit où l'on broie
le chanvre, et où chacun alors apportait sa chronique. Il y a déjà
longtemps que le père Depardieu dort du sommeil des justes, et il était
assez vieux quand il me fit le récit des naïves aventures de sa jeunesse.
C'est pourquoi je le ferai parler lui-même, en imitant sa manière autant
qu'il me sera possible. Tu ne me reprocheras pas d'y mettre de
l'obstination, toi qui sais, par expérience de tes oreilles, que les pensées
et les émotions d'un paysan ne peuvent être traduites dans notre style,
sans s'y dénaturer entièrement et sans y prendre un air d'affectation
choquante. Tu sais aussi, par expérience de ton esprit, que les paysans
devinent ou comprennent beaucoup plus qu'on ne les en croit capables,
et tu as été souvent frappé de leurs aperçus soudains qui, même dans les
choses d'art, ressemblaient à des révélations. Si je fusse venue te dire,
dans ma langue et dans la tienne, certaines choses que tu as entendues
et comprises dans la leur, tu les aurais trouvées si invraisemblables de
leur part, que tu m'aurais accusée d'y mettre du mien à mon insu, et de
leur prêter des réflexions et des sentiments qu'ils ne pouvaient avoir. En
effet, il suffit d'introduire, dans l'expression de leurs idées, un mot qui
ne soit pas de leur vocabulaire, pour qu'on se sente porté à révoquer en
doute l'idée même émise par eux; mais, si on les écoute parler, on

reconnaît que s'ils n'ont pas, comme nous, un choix de mots appropriés
à toutes les nuances de la pensée, ils en ont encore assez pour formuler
ce qu'ils pensent et décrire ce qui frappe leurs sens. Ce n'est donc pas,
comme on me l'a reproché, pour le plaisir puéril de chercher une forme
inusitée en littérature, encore moins pour ressusciter d'anciens tours de
langage et des expressions vieillies que tout le monde entend et connaît
de reste, que je vais m'astreindre au petit travail de conserver au récit
d'Etienne Depardieu la couleur qui lui est propre. C'est parce qu'il m'est
impossible de le faire parler comme nous, sans dénaturer les opérations
auxquelles se livrait son esprit, en s'expliquant sur des points qui ne lui
étaient pas familiers, mais où il portait évidemment un grand désir de
comprendre et d'être compris.
Si, malgré l'attention et la conscience que j'y mettrai, tu trouves encore
quelquefois que mon narrateur voit trop clair ou trop trouble dans les
sujets qu'il aborde, ne t'en prends qu'à l'impuissance de ma traduction.
Forcée de choisir dans les termes usités de chez nous, ceux qui peuvent
être entendus de tout le monde, je me prive volontairement des plus
originaux et des plus expressifs; mais, au moins, j'essayerai de n'en
point introduire qui eussent été inconnus au paysan que je fais parler,
lequel, bien supérieur à ceux d'aujourd'hui, ne se piquait pas d'employer
des mots inintelligibles pour ses auditeurs et pour lui-même.
Je te dédie ce roman, non pour te donner une marque d'amitié
maternelle, dont tu n'as pas besoin pour te sentir de ma famille, mais
pour te laisser, après moi, un point de repère dans tes souvenirs de ce
Berry qui est presque devenu ton pays d'adoption. Tu te rappelleras qu'à
l'époque où je l'écrivais, tu disais: «À propos, je suis venu ici, il y a
bientôt dix ans, pour y passer un mois. Il
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