Les Indes Noires | Page 3

Jules Verne
les overmen
des différentes fosses vinrent serrer la main de l'ingénieur, pendant que
les mineurs agitaient leur chapeau et criaient :
« Adieu, James Starr, notre chef et notre ami ! »
Ces adieux devaient laisser un impérissable souvenir dans tous ces
braves coeurs. Mais, peu à peu, il le fallut, cette population quitta
tristement la vaste cour. Le vide se fit autour de James Starr. Le sol noir
des chemins, conduisant à la fosse Dochart, retentit une dernière fois
sous le pied des mineurs, et le silence succéda à cette bruyante
animation, qui avait empli jusqu'alors la houillère d'Aberfoyle.
Un homme était resté seul près de James Starr.

C'était l'overman Simon Ford. Près de lui se tenait un jeune garçon, âgé
de quinze ans, son fils Harry, qui, depuis quelques années déjà, était
employé aux travaux du fond.
James Starr et Simon Ford se connaissaient, et, se connaissant,
s'estimaient l'un l'autre.
« Adieu, Simon, dit l'ingénieur.
-- Adieu, monsieur James, répondit l'overman, ou plutôt, laissez-moi
ajouter : Au revoir !
-- Oui, au revoir, Simon ! reprit James Starr. Vous savez que je serai
toujours heureux de vous retrouver et de pouvoir parler avec vous du
passé de notre vieille Aberfoyle !
-- Je le sais, monsieur James.
-- Ma maison d'Édimbourg vous est ouverte !
-- C'est loin, Édimbourg ! répondit l'overman en secouant la tête. Oui !
loin de la fosse Dochart !
-- Loin, Simon ! Où comptez-vous donc demeurer ?
-- Ici même, monsieur James ! Nous n'abandonnerons pas la mine,
notre vieille nourrice, parce que son lait s'est tari ! Ma femme, mon fils
et moi, nous nous arrangerons pour lui rester fidèles !
-- Adieu donc, Simon, répondit l'ingénieur, dont la voix, malgré lui,
trahissait l'émotion.
-- Non, je vous répète : au revoir, monsieur James ! répondit l'overman,
et non adieu ! Foi de Simon Ford, Aberfoyle vous reverra ! »
L'ingénieur ne voulut pas enlever cette dernière illusion à l'overman. Il
embrassa le jeune Harry, qui le regardait de ses grands yeux émus. Il
serra une dernière fois la main de Simon Ford et quitta définitivement
la houillère.

Voilà ce qui s'était passé dix ans auparavant; mais, malgré le désir que
venait d'exprimer l'overman de le revoir quelque jour, James Starr
n'avait plus entendu parler de lui.
Et c'était après dix ans de séparation, que lui arrivait cette lettre de
Simon Ford, qui le conviait à reprendre sans délai le chemin des
anciennes houillères d'Aberfoyle.
Une communication de nature à l'intéresser, qu'était-ce donc ? La fosse
Dochart, le puits Yarow ! Quels souvenirs du passé ces noms
rappelaient à son esprit ! Oui ! c'était le bon temps, celui du travail, de
la lutte --, le meilleur temps de sa vie d'ingénieur !
James Starr relisait la lettre. Il la retournait dans tous les sens. Il
regrettait, en vérité, qu'une ligne de plus n'eût pas été ajoutée par Simon
Ford. Il lui en voulait d'avoir été si laconique.
Était-il donc possible que le vieil overman eût découvert quelque
nouveau filon à exploiter ? Non !
James Starr se rappelait avec quel soin minutieux les houillères
d'Aberfoyle avaient été explorées avant la cessation définitive des
travaux. Il avait lui-même procédé aux derniers sondages, sans trouver
aucun nouveau gisement dans ce sol ruiné par une exploitation poussée
à l'excès. On avait même tenté de reprendre le terrain houiller sous les
couches qui lui sont ordinairement inférieures, telles que le grés rouge
dévonien, mais sans résultat. James Starr avait donc abandonné la mine
avec l'absolue conviction qu'elle ne possédait plus un morceau de
combustible.
« Non, se répétait-il, non ! Comment admettre que ce qui aurait
échappé à mes recherches se serait révélé à celles de Simon Ford ?
Pourtant, le vieil overman doit bien savoir qu'une seule chose au monde
peut m'intéresser, et cette invitation, que je dois tenir secrète, de me
rendre à la fosse Dochart !... »
James Starr en revenait toujours là.

D'autre part, l'ingénieur connaissait Simon Ford pour un habile mineur,
particulièrement doué de l'instinct du métier. Il ne l'avait pas revu
depuis l'époque où les exploitations d'Aberfoyle avaient été
abandonnées. Il ignorait même ce qu'était devenu le vieil overman. Il
n'aurait pu dire à quoi il s'occupait, ni même où il demeurait, avec sa
femme et son fils. Tout ce qu'il savait, c'est que rendez-vous lui était
donné au puits Yarow, et qu'Harry, le fils de Simon Ford, l'attendrait à
la gare de Callander pendant toute la journée du lendemain. Il s'agissait
donc évidemment de visiter la fosse Dochart.
« J'irai, j'irai ! » dit James Starr, qui sentait sa surexcitation s'accroître à
mesure que s'avançait l'heure.
C'est qu'il appartenait, ce digne ingénieur, à cette catégorie de gens
passionnés, dont le cerveau est toujours en ébullition, comme une
bouilloire placée sur
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