Les Fleurs du Mal | Page 2

Charles Baudelaire
dans sa pens��e, de protester ainsi contre la condamnation des Fleurs du Mal. L'insucc��s de Baudelaire �� l'Acad��mie n'��tait pas douteux. Ses amis, ses vrais amis, Alfred de Vigny et Sainte-Beuve, lui conseill��rent de se d��sister, ce qu'il fit d'ailleurs en des termes dont on appr��cia la modestie et la convenance.
On a beaucoup parl�� de la vie douloureuse de Baudelaire: manque d'argent, sant�� pr��caire, absence de tendresse f��minine, car sa ma?tresse Jeanne Duval, une jolie fille de couleur qu'il appelait son ? vase de tristesse ?, n'��tait qu'une sotte dont le coeur et la pens��e ��taient loin de lui. Son seul esprit, son m��chant esprit ��tait de tourner en ridicule les manies de son ami. Cependant elle ��tait charmante, nous dit Th��odore de Banville, ? elle portait bien sa brune t��te ing��nue et superbe, couronn��e d'une chevelure violemment crespel��e et dont la d��marche de reine pleine d'une grace farouche, avait �� la fois quelque chose de divin et de bestial ?. Et Banville ajoute: ? Baudelaire faisait parfois asseoir Jeanne devant lui dans un grand fauteuil; il la regardait avec amour et l'admirait longuement; il lui disait des vers dans une langue qu'elle ne savait pas. Certes, c'est l�� peut-��tre le meilleur moyen de causer avec une femme dont les paroles d��tonneraient, sans doute, dans l'ardente symphonie que chante sa beaut��; mais il est naturel aussi que la femme n'en convienne pas et s'��tonne d'��tre ador��e au m��me titre qu'une belle chatte. ?
Baudelaire n'aima qu'elle et il l'aima exclusivement pour sa beaut��, car depuis longtemps, peut-��tre depuis toujours, il avait senti qu'il ��tait seul aupr��s d'elle, que les hommes sont irr��vocablement seuls. Personne ne comprend personne. Nous n'avons d'autre demeure que nousm ��mes. Tout son dandysme fut fait de ce splendide isolement. Toutefois sa sensibilit�� ��tait d'autant plus profonde qu'elle semblait moins apparente. Rien ne la r��v��lait. Il avait l'air froid, quelque peu distant, mais il subjuguait. Ses yeux couleur de tabac d'Espagne, son ��paisse chevelure sombre, son ��l��gance, son intelligence,?l'enchantement de sa voix chaude et bien timbr��e, plus encore que son ��loquence naturelle qui lui faisait d��velopper des paradoxes avec une magnifique intelligence et on ne saurait dire quel magn��tisme personnel qui se d��gageait de toutes les impressions refoul��es au-dedans de lui, le rendaient extr��mement s��duisant. H��las! toutes ces belles qualit��s ne le servirent point--du moins financi��rement--il ignorait l'art de monnayer son g��nie. Ainsi, pratiquement du moins, comme tant d'autres, il se trouva desservi par sa fiert��, sa d��licatesse, par le meilleur de lui-m��me.
Baudelaire habitait dans l'?le Saint-Louis, sur le quai d'Anjou, en ce vieil et triste h?tel Pimodan plein de souvenirs somptueux et nostalgiques. Il avait choisi l�� un appartement compos�� de plusieurs pi��ces tr��s hautes de plafond et dont les fen��tres s'ouvraient sur le fleuve qui roule ses eaux glauques et indiff��rentes au milieu de la vie morbide et fi��vreuse. Les pi��ces ��taient tapiss��es d'un papier aux larges rayures rouges et noires, couleurs diaboliques, qui?s'accordaient avec les draperies d'un lourd damas. Les meubles ��taient antiques, voluptueux. De larges fauteuils, de paresseux divans invitaient �� la r��verie. Aux murs des lithographies et des tableaux sign��s de son ami Delacroix, pures merveilles presque sans importance alors, mais que se disputeraient aujourd'hui �� coups de millions les princes de la finance am��ricaine.
Au temps de Baudelaire, c'est-��-dire vers le milieu du dix-neuvi��me si��cle, l'?le Saint-Louis ressemblait par la paix silencieuse qui r��gnait �� travers ses rues et ses quais �� certaines villes de province o�� l'on va nu-t��te chez le voisin, o�� l'on s'attarde �� bavarder au seuil des maisons et �� y prendre le frais par les beaux soirs d'��t�� �� l'heure o�� la nuit tombe. Artistes et ��crivains allaient se dire bonjour sans quitter leur costume d'int��rieur et flanaient en n��glig�� sur le quai Bourbon et sur le quai d'Anjou, si parfaitement d��serts que c'��tait une joie d'y regarder couler l'eau et d'y boire la lumi��re.
Un jour, Baudelaire, coiff�� uniquement de sa noire chevelure, prenait un bain de soleil sur le quai d'Anjou, tout en croquant de d��licieuses pommes de terre frites qu'il prenait une �� une dans un cornet de papier, lorsque vinrent �� passer en cal��che d��couverte de tr��s grandes dames amies de sa m��re, l'ambassadrice, et qui s'amus��rent beaucoup �� voir ainsi le po��te picorer une nourriture aussi d��mocratique. L'une d'elles, une duchesse, fit arr��ter la voiture et appela Baudelaire.
--? C'est donc bien bon, demanda-t-elle ce que vous mangez l��?
--Go?tez, madame, dit le po��te en faisant les honneurs de son cornet de pommes de terre frites avec une grace supr��me. ?
Et il les amusa si bien par ce r��gal inattendu et par sa conversation qu'elles seraient rest��es l�� jusqu'�� la fin du monde.
Quelques jours plus tard, la duchesse rencontrant Baudelaire dans le salon d'une vieille parente �� elle, lui demanda si elle n'aurait pas l'occasion de
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