Les Filleules de Rubens, Tome I | Page 9

Samuel-Henry Berthoud
a moyen de tenter les ressources de l'art, je n'hésiterai
point.
--Il ne s'agit plus que de montrer les enfants à maître Covelay, et
d'obtenir l'assentiment du grand-père, pour qu'il laisse tenter une
opération aussi délicate sur ses petites-filles, objecta madame Rubens.
--Je m'acquitterai de ce double soin, répondit Rubens: si maître
Covelay veut m'accompagner à l'instant chez mon voisin Borrekens, je
me charge de lui faire voir les jumelles.
Le médecin anglais se leva et suivit Rubens chez mynheer Borrekens.
Pendant leur absence, qui dura une demi-heure environ, chacun raconta
ce qu'il savait ou ce qu'il avait ouï dire sur les naissances monstrueuses;

l'entretien était encore le même, lorsque Rubens et maître Covelay
rentrèrent dans la salle à manger.
--Maître Covelay, dit Rubens, a séparé les deux jumelles, et l'a fait avec
une certitude et une habileté sans égales. A peine une légère cicatrice
subsistera-t-elle pour perpétuer le souvenir d'une aussi singulière
naissance et d'une si merveilleuse opération.
--Rien de plus simple, reprit le médecin: aucune veine, aucune artère,
aucune partie vitale n'allait de l'une à l'autre des enfants: il y avait tout
bonnement un muscle à détacher.
--Mynheer Borrekens est au comble de la joie, et pour rendre cette joie
encore plus complète, j'ai pris l'engagement d'être le parrain de l'une
des jumelles. J'ai promis également, milord duc, que vous assisteriez au
banquet que le roi des arquebusiers donnera dans huit jours pour
célébrer cette solennité.
--Je tiendrai la promesse que vous avez faite en mon nom, répondit
Buckingham.
Puis faisant signe à Covelay d'avancer, il lui plaça sur la poitrine une
riche chaîne d'or qu'il détacha de son propre cou.
--Merci! Covelay: tu as soutenu dignement l'honneur de la vieille
Angleterre, lui dit-il.

CHAPITRE III.
SIMON.
Il fallait des nouvelles moins importantes pour jeter une grande
émotion et une profonde joie dans la famille Borrekens, et surtout dans
le coeur du roi du Serment des Arquebusiers.
Ce dernier n'était point insensible aux jouissances de l'amour-propre:
sans compter la reconnaissance que lui inspirait la résolution
affectueuse de Rubens, il ne se sentait pas médiocrement fier, à la
pensée de pouvoir appeler le chevalier Rubens son compère, et de
recevoir chez lui les amis du grand peintre, surtout le duc de
Buckingham.
Lors donc que, le lendemain, Simon van Maast vint pour complimenter
Borrekens sur la naissance de ses petits-enfants, et s'informer de l'état
où se trouvait l'accouchée, il vit le digne bourgeois qui, les manches
retroussées jusqu'aux coudes, prenait des mesures et comptait avec soin
combien de convives il pourrait placer dans la grande salle de la

maison.
Borrekens raconta chaleureusement et en peu de mots à Simon toutes
les joies, tous les honneurs qui lui étaient arrivés depuis la veille, et
conclut en le priant de l'aider de son intelligence pour résoudre le
problème qui le préoccupait, et qui consistait à placer à l'aise quarante
personnes, là où l'on n'en pouvait mettre que trente.
Simon, inquiet de l'accouchée, ne parlait que de Thrée, et demandait
avec instance à voir les deux enfants; mynheer Borrekens répondait par
les quarante convives qu'il devait faire tenir dans sa salle.
Dame Pétronille, la garde-couche, rien que cela! daigna venir en aide
au pauvre Simon: elle lui fit un petit signe mystérieux, et tandis que
Borrekens continuait à chercher ses combinaisons, elle conduisit le
jeune homme dans une pièce voisine, et l'amena devant le berceau où
se trouvaient couchées les deux jumelles.
Simon, ému jusqu'à l'attendrissement, essuya une larme et glissa dans
la main de dame Pétronille deux florins qu'elle fit à son tour glisser
dans l'une des deux poches de sa jupe.
--Ainsi, dit Simon, pour mieux dérober son émotion à la vieille femme,
ainsi, c'est le chevalier Rubens qui sera le parrain de ces enfants?
--De l'une seulement, maître Simon! L'autre doit être tenue sur les
fonds par mynheer Borghest, le doyen du Serment des Arquebusiers, et
qui a rempli deux fois les fonctions de Roi de ce Serment.
--Rien d'ordinaire ne doit avoir lieu dans la destinée de ces enfants,
répliqua van Maast, le vieux Borghest est décédé ce matin, subitement,
au sortir de la messe.
--Est-il Dieu possible? s'écria la garde-couche en se signant. Mourir
ainsi tout-à-coup! Un beau vieillard bien vert et qui ne comptait pas
plus de quatre-vingts ans! Ce que c'est que de nous!... Voilà un nouvel
embarras pour mynheer Borrekens! Je ne sais pas trop comment il va
pouvoir en sortir, attendu que le chevalier Rubens part prochainement
pour Londres avec le mylord anglais, et a demandé que le baptême eût
lieu après-demain lundi. Il faut que j'aille prévenir le pauvre homme.
Et avec l'empressement que jamais une commère de cette espèce ne
manque de mettre à annoncer une mauvaise nouvelle, elle courut conter
à Borrekens ce nouveau surcroît d'incident, ce nouveau problème à
résoudre.
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