de Vérone. PROTÉO, } ANTONIO, père de Protéo.
THURIO, espèce de fou, ridicule rival de Valentin. ÉGLAMOUR,
confident de Silvie, qui favorise son évasion. L'HÔTE chez lequel loge
Julie à Milan. SPEED, valet bouffon de Valentin. LAUNCE, valet de
Protéo. PANTHINO, valet d'Antonio. JULIE, dame de Vérone aimée
de Protéo. SILVIE, fille du duc de Milan, aimée de Valentin.
LUCETTE, suivante de Julie. Proscrits. Domestiques, musiciens.
La scène est tantôt à Vérone, tantôt à Milan, et sur les frontières de
Mantoue.
ACTE PREMIER
SCÈNE I
VALENTIN, PROTÉO.
VALENTIN.--Cesse de vouloir me persuader, mon cher Protéo; le
jeune homme qui demeure toujours dans sa patrie n'a jamais qu'un
esprit borné. Si l'amour n'enchaînait pas tes jeunes années aux doux
regards d'une amante digne de tes hommages, je t'engagerais à
m'accompagner pour voir les merveilles du monde, plutôt que de
t'engourdir ici dans une stupide indolence, et d'user ta jeunesse dans
une inertie incapable de donner des formes; mais puisque tu aimes,
aime toujours, et tâche d'être aussi heureux dans tes amours, que je
voudrais l'être moi-même lorsque je commencerai d'aimer.
PROTÉO.--Veux-tu donc me quitter? Adieu, mon cher Valentin! Pense
à ton Protéo, si par hasard tu vois dans tes voyages quelque objet
remarquable et rare, désire de m'avoir avec toi pour partager ton
bonheur, lorsqu'il t'arrivera quelque bonne fortune; et dans tes dangers,
si jamais le danger t'environne, recommande tes malheurs à mes saintes
prières, car je veux être ton intercesseur, Valentin.
VALENTIN.--Oui, et prier pour moi dans un livre d'amour.
PROTÉO.--Je prierai pour toi dans certain livre que j'aime.
VALENTIN.--C'est-à-dire dans quelque sot livre de profond amour
comme l'histoire du jeune Léandre qui traversa l'Hellespont[1].
PROTÉO.--C'est une histoire profonde d'un plus profond amour; car
Léandre avait de l'amour par-dessus les souliers.
VALENTIN.--Tu dis vrai, car tu as de l'amour par-dessus les bottes et
tu n'as pas encore traversé l'Hellespont à la nage.
PROTÉO.--Par-dessus les bottes? Ne me porte pas de bottes[2].
VALENTIN.--Je m'en garderai bien, car ce serait à propos de bottes[3].
[Note 1: La traduction de Musée, par Marlowe, était populaire et le
méritait; son _Héro et Léandre_ serait digne de Dryden.]
[Note 2: Give me not the boots, expression proverbiale qui signifie:
«Ne te joue pas de moi,» et qui revient à l'ancienne phrase française:
«Bailler foin en cornes.»]
[Note 3: Nous avons employé un équivalent à ces mots: it boots thee
not, «cela t'est inutile.»]
PROTÉO--Comment?
VALENTIN.--Aimer, pour ne recueillir d'autre fruit de ses
gémissements que le mépris, et un timide regard pour les soupirs d'un
coeur blessé! Acheter un moment de joie passagère par les ennuis et les
fatigues de vingt nuits d'insomnie! Si vous réussissez, le succès n'en
vaut peut-être pas la peine; si vous échouez, vous n'avez donc gagné
que des peines cruelles. Quoi qu'il en soit, l'amour n'est qu'une folie
qu'obtient votre esprit, ou votre esprit est vaincu par une folie.
PROTÉO.--Ainsi, à t'entendre, je ne suis qu'un fou?
VALENTIN.--Ainsi, à t'entendre, je crains bien que tu ne le deviennes.
PROTÉO.--C'est de l'amour que tu médis; je ne suis pas l'amour.
VALENTIN.--L'amour est ton maître, car il te maîtrise; et celui qui se
laisse ainsi subjuguer par un fou, ne devrait pas, ce me semble, être
rangé parmi les sages.
PROTÉO.--Les auteurs disent cependant que l'amour habite dans les
esprits les plus élevés, comme le ver dévorant s'attache au bouton de la
plus belle rose.
VALENTIN.--Et les auteurs disent aussi que, comme le bouton le plus
précoce est rongé intérieurement par un ver avant qu'il s'épanouisse, de
même l'amour porte à la folie les esprits jeunes et tendres; qu'ils se
fanent dans la fleur, perdent la fraîcheur de leur printemps, et tout le
fruit des plus douces espérances. Mais pourquoi consumer ici le temps
à te donner des conseils, puisque tu es tout dévoué à de tendres désirs?
Encore une fois, adieu! Mon père est sur le port à m'attendre pour me
voir monter sur le vaisseau.
PROTÉO.--Et je veux t'y conduire, Valentin.
VALENTIN.--Non, cher Protéo, il vaut mieux nous dire adieu ici.
Quand je serai à Milan, que tes lettres m'informent de tes succès en
amour, et de tout ce qui pourra arriver ici pendant l'absence de ton ami;
je te visiterai aussi par mes lettres.
PROTÉO.--Puisses-tu ne trouver à Milan que le bonheur!
VALENTIN.--Je t'en souhaite autant à Vérone. Adieu!
(Il sort.)
PROTÉO.--Il poursuit l'honneur et moi l'amour; il abandonne ses amis
pour les honorer davantage; et moi j'abandonne tout, mes amis et
moi-même pour l'amour. C'est toi, Julie, c'est toi qui m'as
métamorphosé! Tu me fais négliger mes études, perdre mon temps,
combattre les plus sages conseils et compter pour rien tout l'univers;
mon esprit s'affaiblit dans les rêveries, et mon coeur est malade
d'inquiétude.
(Entre Speed.)
SPEED.--Seigneur Protéo, Dieu vous garde! avez-vous vu mon maître?
PROTÉO.--Il vient de partir d'ici et
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