curiosit�� croissante ou dans une sorte de sensualisme esth��tique. Toute la po��sie contemporaine est faite, semble-t-il, d'inqui��tude morale et d'esprit critique m��l�� de sensualit��. L'inqui��tude, vague avec les romantiques, s'est peu �� peu pr��cis��e: une po��sie philosophique en est sortie, et �� la m��lancolie d'Olympio ou de Jocelyn a succ��d�� la m��lancolie darwiniste. Le po��te de la Justice[2] sait les raisons de sa tristesse. D'un autre c?t��, l'intelligence du pass�� et le go?t de l'exotique ont engendr�� une longue et magnifique lign��e de po��mes o�� revivent l'art, la pens��e et la figure des temps disparus. La po��sie de notre age et de notre pays contient toutes les autres dans son vaste sein. Hugo, Vigny, Gautier, Banville, Leconte de Lisle, l'ont faite souverainement intelligente et sympathique, soit qu'elle d��roule la l��gende des si��cles, soit qu'elle s'��prenne de beaut�� grecque et pa?enne, soit qu'elle traduise et condense les splendides ou f��roces imaginations religieuses qui ont ravi ou tortur�� l'humanit��, soit enfin qu'elle exprime des sentiments modernes par des symboles antiques. �� travers les diff��rences de caract��re ou de g��nie, un trait commun rapproche les ouvriers de cette po��sie immense et vari��e comme le monde et l'histoire: le culte du beau plastique. Mais il n'en est point chez qui ce culte apparaisse plus exclusif que chez M. Leconte de Lisle. Il est remarquable que celui-l�� soit le moins ��mu, qui s'est fait le po��te des religions et qui s'est attach�� aux manifestations du sentiment le plus intime, le plus enfonc�� au coeur des races.
[Note 2: M. Sully Prudhomme.]
III
Mais quoi! est-il donc si impassible que cela? M. Homais aurait tort de le croire. Un petit po��me indien ou gothique se peut ciseler sans ��motion. Des ��l��ves du ma?tre, de jeunes et habiles ouvriers se sont donn�� ce plaisir, et l'on aura beau chercher, on ne trouvera gu��re sous leurs vers ��clatants d'autre passion que celle des contours rares et des belles rimes. Mais quand un po��te s'est complu �� ��voquer la s��rie presque compl��te des religions et des th��ologies, volontiers on s'enquiert des raisons d'une pr��dilection si constante. On se demande si le go?t du pittoresque �� outrance suffit �� l'expliquer. Cette impassibilit�� qu'on ne saurait nier, on voudrait savoir si elle est bien l'��tat naturel de l'ame de l'artiste. N'est-elle pas acquise? �� quel prix et pourquoi? Ne suppose-t-elle pas des souffrances, des d��sillusions, des r��bellions, tout un drame ant��rieur qui parfois gronde encore sous les rimes sereines? Ka?n n'est-il donc qu'un magnifique exercice de rh��torique parnassienne? Relisez-le, de grace, et vous verrez si l'ame triste, g��n��reuse et insoumise du XIXe si��cle n'y est pas tout enti��re. Non, l'auteur des Nornes, de Baghavat et du Corbeau n'est point un antiquaire d��sint��ress��. S'il est un po��te qui soit bien d'aujourd'hui, qui soit moderne jusqu'aux entrailles, c'est lui. M. Leconte de Lisle, �� peu pr��s comme Gustave Flaubert, est un grand pessimiste et un grand impie r��fugi�� dans la contemplation esth��tique. ��tudions de plus pr��s ce r��volt�� qui, pour go?ter la paix, s'est fait bouddhiste et sculpteur de strophes.
Quand je parle du bouddhisme de M. Leconte de Lisle, il faut s'entendre. Je sais bien qu'il vit �� Paris, �� peu pr��s comme tout le monde, et je ne pr��tends pas qu'il adore pour de bon Baghavat ou Bouddha, qu'il laisse pousser ind��finiment les ongles de ses pieds et de ses mains, ni qu'il passe des heures �� regarder son nombril. Je le d��finis par ses livres, ne le connaissant pas autrement; je le prends dans les moments singuliers o�� il vit sa vie de po��te, aussi vraie que l'autre. On peut croire qu'il tient de la nature un d��dain de l'��motion ext��rieure, un fonds de s��r��nit�� contemplative que sont venus renforcer l'art et le parti pris; et il est sans doute int��ressant d'��tudier chez lui l'alliance surprenante de l'ataxie orientale avec la science et la conscience inqui��tes des hommes d'Occident.
Il ne faut pas oublier que Leconte de Lisle est n�� �� l'?le Bourbon et qu'il y a pass�� son enfance. L�� mieux que chez nous, il put sentir l'��normit�� indomptable des forces naturelles et les lourds midis endormeurs de la conscience et de la volont��. Il connut la r��verie sans tendresse, le sentiment de notre impuissance �� l'��gard des choses, la soif de rentrer au grand Tout, dont la vie un moment nous distingue, et, en attendant, la joie immobile de contempler de splendides tableaux sans y chercher autre chose que leur beaut��.
Il vint �� Paris. Apr��s la fatalit�� inconsciente des choses, il rencontra la fatalit�� furieuse de l'��go?sme humain. Il eut des jours difficiles et souffrit d'autant plus qu'il apportait dans la m��l��e des comp��titions f��roces une ame d��j�� touch��e de la grave songerie orientale. Les forces in��luctables qu'il avait reconnues, subies et parfois aim��es dans la nature aveugle et magnifique, il les retrouvait

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