dans la société des hommes, mais franchement ha?ssables cette fois, visiblement hostiles et méchantes. L'enfant s'insurgea contre l'égo?sme nécessaire, mais hideux, contre le bourgeoisisme impitoyable et rapace, contre la vie plate et malfaisante, contre les violences hypocrites et sans grandeur.
Il lut l'histoire. Il y vit l'homme en proie à deux fatalités: celle de ses passions et celle du monde extérieur. Elle lui apparut comme l'universelle tragédie du mal, comme le drame de la force sombre et douloureuse. Il lui sembla que l'homme, presque toujours, avait aggravé l'horreur de son destin par les explications qu'il en avait données, par les religions qui avaient hanté son esprit malade, prêtant à ses dieux les passions dont il était agité. Il se dit alors que la vie est mauvaise et que l'action est inutile ou funeste. Mais, d'autre part, il fut séduit par le pittoresque et la variété plastique de l'histoire humaine, par les tableaux dont elle occupe l'imagination au point de nous faire oublier nos colères et nos douleurs. Il entra par l'étude dans les moeurs et dans l'esthétique des siècles morts; il démêla l'empreinte que les générations re?oivent de la terre, du climat et des ancêtres: et, comme il s'amusait à la logique de l'histoire, il en sentit moins la tristesse; puis il lui parut que toute force qui se développe a sa beauté pour qui en est spectateur sans en être victime; il eut des visions du passé si nettes, si sensibles et si grandioses qu'il leur pardonna de n'être pas consolantes. Enfin il comprit que, si tout le mal vient de l'action, l'action vient du désir inextinguible, de l'illusion du mieux, qui vit éternellement aux flancs de l'humanité, illusion qui fait souffrir puisqu'elle fait vivre, mais qui fait vivre enfin. Or, à quoi bon condamner la vie? Elle est, cela suffit; et les renonciations de quelques-uns ne l'éteindront pas. Qui sait d'ailleurs si elle ne va pas quelque part? si quelque progrès--lent, ah! combien lent!--ne s'élabore pas par elle à travers les ages? Alors, le coeur révolté contre l'être, mais les yeux pleins du prestige de ses formes; indigné des monstruosités de l'histoire, mais désarmé par l'intérêt de son mécanisme et ébloui par la richesse de ses décors; soulevé contre le spectre des religions, mais apaisé par l'idée qu'un jour peut-être elles auront vécu; conspuant l'humanité et l'adorant à la fois, il alla prendre pour héros l'antique rebelle, le premier après Lucifer qui ait crié: Non serviam! rendit l'espoir au désespéré et le fit surgir comme un prophète sur la plus haute tour d'Hénokia, la cité cyclopéenne. Il mit dans ce poème ce qu'il avait de plus sincère en lui, la protestation obstinée contre le mal physique et moral, et aussi la sérénité de l'artiste paisiblement enivré de visions précises. Ce jour-là, M. Leconte de Lisle fit son chef-d'oeuvre.
IV
En la trentième année, au siècle de l'épreuve, étant captif parmi les cavaliers d'Assur, Thogorma, le voyant, fils d'élam, fils de Thur, Eut ce rêve, couché dans les roseaux du fleuve, à l'heure où le soleil blanchit l'herbe et le mur,
Il vit Hénokia, la cité des Géants. C'est le soir; ils rentrent dans la ville avec leurs femmes et leurs troupeaux,
Suants, échevelés, soufflant leur rude haleine Avec leur bouche épaisse et rouge, et pleins de faim.
Le tombeau de Ka?n est au sommet de la plus haute tour. Voilà qu'un ange, un cavalier, sort des ténèbres, tra?nant après lui et ameutant toutes les bêtes de la terre, et charge d'imprécations, au nom du Seigneur, le rebelle et ses fils. Alors Ka?n se dresse dans son tombeau, impose silence au cavalier et aux bêtes; il se souvient, et raconte sa sombre histoire.
Celui qui m'engendra m'a reproché de vivre; Celle qui m'a con?u ne m'a jamais souri.
Il revoit l'éden gardé par un Khéroub ?chevelu de lumière?. La nuit, il r?dait, voulant y rentrer et sourd aux insultes de l'archange.
Ténèbres, répondez! Qu'Iavèh me réponde! Je souffre, qu'ai-je fait?--Le Khéroub dit: Ka?n, Iavèh l'a voulu. Tais-toi. Fais ton chemin Terrible.--Sombre esprit, le mal est dans le monde; Oh! pourquoi suis-je né?--Tu le sauras demain.
Pour le punir, Iavèh l'aveugle ?le précipite dans le crime tendu?, lui fait, dans un accès de fureur, tuer son frère, qu'il aimait pourtant.
Dors au fond du Schéol! Tout le sang de tes veines, ? préféré d'Héva, faible enfant que j'aimais, Ce sang que je t'ai pris, je le saigne à jamais! Dors, ne t'éveille plus! Moi, je crierai mes peines, J'élèverai la voix vers Celui que je hais.
Ka?n se vengera et il vengera les hommes. Quand ?assouvi de son rêve?, Dieu voudra détruire la race humaine par le déluge, Ka?n la sauvera. Le poète (et ceci a tout l'air d'une trouvaille de génie) veut que l'arche ait été construite malgré Jéhovah et que Ka?n, son Ka?n immortel et symbolique, l'ait empêchée de sombrer.--L'homme,
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