Les Cinq Cents Millions de la Bégum | Page 8

Jules Verne
est évident que tu n'es bon à rien ce soir !
-- Tu as raison >>, répondit Octave, saisissant avec joie cette quasi- permission d'abandonner toute espèce de travail.
Et, sautant sur son chapeau, il dégringola l'escalier et se trouva dans la rue. A peine eut-il fait dix pas, qu'il s'arrêta sous un bec de gaz pour relire la lettre de son père. Il avait besoin de s'assurer de nouveau qu'il était bien éveillé.
<< Un demi-milliard !... Un demi-milliard !... répétait-il. Cela fait au moins vingt-cinq millions de rente !... Quand mon père ne m'en donnerait qu'un par an, comme pension, que la moitié d'un, que le quart d'un, je serais encore très heureux ! On fait beaucoup de choses avec de l'argent ! Je suis s?r que je saurais bien l'employer ! Je ne suis pas un imbécile, n'est-ce pas ? On a été re?u à l'Ecole centrale !... Et j'ai un titre encore !... Je saurai le porter ! >>
Il se regardait, en passant, dans les glaces d'un magasin.
<< J'aurai un h?tel, des chevaux !... Il y en aura un pour Marcel. Du moment où je serai riche, il est clair que ce sera comme s'il l'était. Comme cela vient à point tout de même !... Un demi-milliard !... Baronnet !... C'est dr?le, maintenant que c'est venu, il me semble que je m'y attendais ! Quelque chose me disait que je ne serais pas toujours occupé à trimer sur des livres et des planches à dessin !... Tout de même, c'est un fameux rêve ! >>
Octave suivait, en ruminant ces idées, les arcades de la rue de Rivoli. Il arriva aux Champs-Elysées, tourna le coin de la rue Royale, déboucha sur le boulevard. Jadis, il n'en regardait les splendides étalages qu'avec indifférence, comme choses futiles et sans place dans sa vie. Maintenant, il s'y arrêta et songea avec un vif mouvement de joie que tous ces trésors lui appartiendraient quand il le voudrait.
<< C'est pour moi, se dit-il, que les fileuses de la Hollande tournent leurs fuseaux, que les manufactures d'Elbeuf tissent leurs draps les plus souples, que les horlogers construisent leurs chronomètres, que le lustre de l'Opéra verse ses cascades de lumière, que les violons grincent, que les chanteuses s'égosillent ! C'est pour moi qu'on dresse des pur-sang au fond des manèges, et que s'allume le Café Anglais !... Paris est à moi !... Tout est à moi !... Ne voyagerai-je pas ? N'irai-je point visiter ma baronnie de l'Inde ?... Je pourrai bien quelque jour me payer une pagode, avec les bonzes et les idoles d'ivoire par-dessus le marché !... J'aurai des éléphants !... Je chasserai le tigre !... Et les belles armes !... Et le beau canot !.. . Un canot ? que non pas ! mais un bel et bon yacht à vapeur pour me conduire où je voudrai, m'arrêter et repartir à ma fantaisie !... A propos de vapeur, je suis chargé de donner la nouvelle à ma mère. Si je partais pour Douai !... Il y a l'école... Oh ! oh ! l'école ! on peut s'en passer !... Mais Marcel ! il faut le prévenir. Je vais lui envoyer une dépêche. Il comprendra bien que je suis pressé de voir ma mère et ma soeur dans une pareille circonstance ! >>
Octave entra dans un bureau télégraphique, prévint son ami qu'il partait et reviendrait dans deux jours. Puis, il héla un fiacre et se fit transporter à la gare du Nord.
Dès qu'il fut en wagon, il se reprit à développer son rêve.
A deux heures du matin, Octave carillonnait bruyamment à la porte de la maison maternelle et paternelle -- sonnette de nuit --, et mettait en émoi le paisible quartier des Aubettes.
<< Qui donc est malade ? se demandaient les commères d'une fenêtre à l'autre.
-- Le docteur n'est pas en ville ! cria la vieille servante, de sa lucarne au dernier étage.
-- C'est moi, Octave !... Descendez m'ouvrir, Francine ! >>
Après dix minutes d'attente, Octave réussit à pénétrer dans la maison. Sa mère et sa soeur Jeanne, précipitamment descendues en robe de chambre, attendaient l'explication de cette visite.
La lettre du docteur, lue à haute voix, eut bient?t donné la clef du mystère.
Mme Sarrasin fut un moment éblouie. Elle embrassa son fils et sa fille en pleurant de joie. Il lui semblait que l'univers allait être à eux maintenant, et que le malheur n'oserait jamais s'attaquer à des jeunes gens qui possédaient quelques centaines de millions. Cependant, les femmes ont plus t?t fait que les hommes de s'habituer à ces grands coups du sort. Mme Sarrasin relut la lettre de son mari, se dit que c'était à lui, en somme, qu'il appartenait de décider de sa destinée et de celle de ses enfants, et le calme rentra dans son coeur. Quant à Jeanne, elle était
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