Les Chants de Maldoror | Page 7

Comte de Lautreamont
maintenant ce que je te conseille? Malgré toi, je veux que tu le fasses, et tu rendras heureuse ma conscience.? Après avoir parlé ainsi, en même temps tu auras fait du mal à un être humain, et tu seras aimé du même être: c'est le bonheur le plus grand que l'on puisse concevoir. Plus tard, tu pourras le mettre à l'h?pital; car, le perclus ne pourra pas gagner sa vie. On t'appellera bon, et les couronnes de laurier et les médailles d'or cacheront tes pieds nus, épars sur la grande tombe, à la figure vieille, O toi, dont je ne veux pas écrire le nom sur cette page qui consacre la sainteté du crime, je sais que ton pardon fut immense comme l'univers. Mais, moi, j'existe encore!
* * * * *
J'ai fait un pacte avec la prostitution afin de semer le désordre dans les familles. Je me rappelle la nuit qui précéda cette dangereuse liaison. Je vis devant moi un tombeau. J'entendis un ver luisant, grand comme une maison, qui me dit: ?Je vais t'éclairer. Lis l'inscription. Ce n'est pas de moi que vient cet ordre suprême.? Une vaste lumière couleur de sang, à l'aspect de laquelle mes machoires claquèrent et mes bras tombèrent inertes, se répandit dans les airs jusqu'à l'horizon. Je m'appuyai contre une muraille en ruine, car j'allais tomber, et je lus: ?Ci-g?t un adolescent qui mourut poitrinaire: vous savez pourquoi. Ne priez pas pour lui.? Beaucoup d'hommes n'auraient peut-être pas eu autant de courage que moi. Pendant ce temps, une belle femme nue vint se coucher à mes pieds. Moi, à elle, avec une figure triste: ?Tu peux te relever.? Je lui tendis la main avec laquelle le fratricide égorge sa soeur. Le ver luisant, à moi: ?Toi, prends une pierre et tue-la;--Pourquoi? lui dis-je.? Lui, à moi: ?Prends garde à toi; le plus faible, parce que je suis le plus fort. Celle-ci s'appelle Prostitution.? Les larmes dans les yeux, la rage dans le coeur, je sentis na?tre en moi une force inconnue. Je pris une grosse pierre; après bien des efforts, je la soulevai avec peine jusqu'à la hauteur de ma poitrine; je la mis sur l'épaule avec les bras. Je gravis une montagne jusqu'au sommet: de là, j'écrasai le ver luisant. Sa tête s'enfon?a sous le sol d'une grandeur d'homme; la pierre rebondit jusqu'à la hauteur de six églises. Elle alla retomber dans un lac, dont les eaux s'abaissèrent un instant, tournoyantes, en creusant un immense c?ne renversé. Le calme reparut à la surface; la lumière de sang ne brilla plus. ?Hélas! hélas! s'écria la belle femme nue; qu'as-tu fait?? Moi, à elle: ?Je te préfère à lui; parce que j'ai pitié des malheureux. Ce n'est pas ta faute, si la justice éternelle t'a créée.? Elle, à moi: ?Un jour, les hommes me rendront justice; je ne t'en dis pas davantage. Laisse-moi partir, pour aller cacher au fond de la mer ma tristesse infinie. Il n'y a que toi et les monstres hideux qui grouillent dans ces noirs ab?mes, qui ne me méprisent pas. Tu es bon. Adieu, toi qui m'as aimée!? Moi, à elle: ?Adieu! Encore une fois: adieu! Je t'aimerai toujours!... Dès aujourd'hui, j'abandonne la vertu.? C'est pourquoi, ? peuples, quand vous entendrez le vent d'hiver gémir sur la mer et près de ses bords, ou au-dessus des grandes villes, qui, depuis longtemps, ont pris le deuil pour moi, ou à travers les froides régions polaires, dites: ?Ce n'est pas l'esprit de Dieu qui passe: ce n'est que le soupir aigu de la prostitution, uni avec les gémissements graves du Montévidéen.? Enfants, c'est moi qui vous le dis. Alors, pleins de miséricorde, agenouillez-vous; et que les hommes, plus nombreux que les poux, fassent de longues prières.
* * * * *
Au clair de la lune, près de la mer, dans les endroits isolés de la campagne, l'on voit, plongé dans d'amères réflexions, toutes les choses revêtir des formes jaunes, indécises, fantastiques. L'ombre des arbres, tant?t vite, tant?t lentement, court, vient, revient, par diverses formes, en s'aplatissant, en se collant contre la terre. Dans le temps, lorsque j'étais emporté sur les ailes de la jeunesse, cela me faisait rêver, me paraissait étrange; maintenant, j'y suis habitué. Le vent gémit à travers les feuilles ses notes langoureuses, et le hibou chante sa grave complainte, qui fait dresser les cheveux à ceux qui l'entendent. Alors, les chiens, rendus furieux, brisent leurs cha?nes, s'échappent des fermes lointaines; ils courent dans la campagne, ?à et là, en proie à la folie. Tout à coup, ils s'arrêtent, regardent de tous les c?tés avec une inquiétude farouche, l'oeil en feu; et, de même que les éléphants, avant de mourir, jettent dans le désert un dernier regard au ciel, élevant désespérément leur trompe, laissant leurs oreilles inertes, de même les chiens
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 101
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.