Leone Leoni | Page 2

George Sand
actions ��nergiques. Jamais un Espagnol n'est plus calme que lorsqu'il couve quelque projet ou sinistre ou sublime. Quant �� moi, je dig��rais alors mon projet; mais il n'avait rien d'h��ro?que ni d'effrayant. Quand j'eus fait environ soixante fois le tour de la chambre et fum�� une douzaine de cigarettes, mon parti fut pris. Je m'arr��tai aupr��s du sofa, et, sans m'inqui��ter du sommeil de ma jeune compagne:-Juliette, lui dis-je, voulez-vous ��tre ma femme?
Elle ouvrit les yeux et me regarda sans r��pondre. Je crus qu'elle ne m'avait pas entendu, et je r��it��rai ma demande.
-J'ai fort bien entendu, r��pondit-elle d'un ton d'indiff��rence, et elle se tut de nouveau.
Je crus que ma demande lui avait d��plu, et j'en con?us une col��re et une douleur ��pouvantables; mais, par respect pour la gravit�� espagnole, je n'en t��moignai rien, et je me remis �� marcher autour de la chambre.
Au septi��me tour, Juliette m'arr��ta en me disant:
-A quoi bon?
Je fis encore trois tours de chambre; puis je jetai mon cigare, et, tirant une chaise, je m'assis aupr��s d'elle.
-Votre position dans le monde, lui dis-je, doit vous faire souffrir?
-Je sais, r��pondit-elle en soulevant sa t��te ravissante et en fixant sur moi ses yeux bleus o�� l'apathie semblait toujours combattre la tristesse, oui, je sais, mon cher Aleo, que je suis fl��trie dans le monde d'une d��signation ineffa?able: fille entretenue.
-Nous l'effacerons, Juliette; mon nom purifiera le v?tre.
-Orgueil des grands! reprit-elle avec un soupir. Puis se tournant tout �� coup vers moi, et saisissant ma main, qu'elle porta malgr�� moi �� ses l��vres:-En v��rit��! ajouta-t-elle, vous m'��pouseriez, Bustamente? O mon Dieu! mon Dieu! quelle comparaison vous me faites faire!
-Que voulez-vous dire, ma ch��re enfant? lui demandai-je. Elle ne me r��pondit pas et fondit en larmes.
Ces larmes, dont je ne comprenais que trop bien la cause, me firent beaucoup de mal. Mais je renfermai l'esp��ce de fureur qu'elles m'inspiraient, et je revins m'asseoir aupr��s d'elle.
-Pauvre Juliette, lui dis-je; cette blessure saignera donc toujours?
-Vous m'avez permis de pleurer, r��pondit-elle; c'est la premi��re de nos conventions.
-Pleure, ma pauvre afflig��e, lui dis-je, ensuite ��coute et r��ponds-moi.
Elle essuya ses larmes et mit sa main dans la mienne.
-Juliette, lui dis-je, lorsque vous vous traitez de fille entretenue, vous ��tes une folle. Qu'importent l'opinion et les paroles grossi��res de quelques sots? Vous ��tes mon amie, ma compagne, ma ma?tresse.
-H��las! oui, dit-elle, je suis ta ma?tresse, Aleo, et c'est l�� ce qui me d��shonore; je devrais ��tre morte plut?t que de l��guer �� un noble coeur comme le tien la possession d'un coeur �� demi ��teint.
-Nous en ranimerons peu �� peu les cendres, ma Juliette; laisse-moi esp��rer qu'elles cachent encore une ��tincelle que je puis trouver.
-Oui, oui, je l'esp��re, je le veux! dit-elle vivement. Je serai donc ta femme? Mais pourquoi? t'en aimerai-je mieux? te croiras-tu plus sur de moi?
-Je te saurai plus heureuse, et j'en serai plus heureux.
-Plus heureuse! vous vous trompez; je suis avec vous aussi heureuse que possible; comment le titre de dona Bustamente pourrait-il me rendre plus heureuse?
-Il vous mettrait �� couvert des insolents d��dains du monde.
-Le monde! dit Juliette; vous voulez dire vos amis. Qu'est-ce que le monde? je ne l'ai jamais su. J'ai travers�� la vie et fait le tour de la terre sans r��ussir �� apercevoir ce que vous appelez le monde.
-Je sais que tu as v��cu jusqu'ici comme la fille enchant��e dans son globe de cristal, et pourtant je t'ai vue jadis verser des larmes am��res sur la d��plorable situation que tu avais alors. Je me suis promis de t'offrir mon rang et mon nom aussit?t que ton affection me serait assur��e.
-Vous ne m'avez pas comprise, don Aleo, si vous avez cru que la honte me faisait pleurer. Il n'y avait pas de place dans mon ame pour la honte; il y avait assez d'autres douleurs pour la remplir et pour la rendre insensible �� tout ce qui venait du dehors. S'il m'e?t aim��e toujours, j'aurais ��t�� heureuse, eusse-je ��t�� couverte d'infamie aux yeux de ce que vous appelez le monde.
Il me fut impossible de r��primer un fr��missement de col��re; je me levai pour marcher dans la chambre. Juliette me retint.-Pardonne-moi, me dit-elle d'une voix ��mue, pardonne-moi le mal que je te fais. Il est au-dessus de mes forces de ne jamais parler de cela.
-Eh bien, Juliette, lui r��pondis-je en ��touffant un soupir douloureux, parles-en donc si cela doit te soulager! Mais est-il possible que tu ne puisses parvenir �� l'oublier, quand tout ce qui t'environne tend �� te faire concevoir une autre vie, un autre bonheur, un autre amour!
-Tout ce qui m'environne! dit Juliette avec agitation. Ne sommes-nous pas �� Venise?
Elle se leva et s'approcha de la fen��tre; sa jupe de taffetas blanc formait mille plis autour de sa ceinture d��licate. Ses cheveux bruns s'��chappaient des grandes ��pingles d'or cisel�� qui ne les retenaient plus qu'�� demi, et baignaient
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