n'empêche point de parler, lorsqu'on n'y met pas trop de hâte.
De quoi s'entretint-on?... Des incidents de l'expédition durant le
parcours vers le nord-est?... Point. Ceux qui pouvaient se présenter au
retour étaient d'un intérêt plus actuel. Le cheminement serait long
encore jusqu'aux factoreries de Libreville -- plus de deux mille
kilomètres -- ce qui exigerait de neuf à dix semaines de marche. Or,
dans cette seconde partie du voyage, qui sait? avait dit John Cort à son
compagnon, auquel il fallait mieux que de l'imprévu, de
l'extraordinaire.
Jusqu'à cette dernière étape, depuis les confins du Darfour, la caravane
avait redescendu vers l'Oubanghi, après avoir franchi les gués de
l'Aoukadébé et de ses multiples affluents. Ce jour-là, elle venait de
s'arrêter à peu près sur le point où se croisent le vingt-deuxième
méridien et le neuvième parallèle.
«Mais, maintenant, dit Urdax, nous allons suivre la direction du
sud-ouest...
-- Et cela est d'autant plus indiqué, répondit John Cort, que, si mes yeux
ne me trompent pas, l'horizon au sud est barré par une forêt dont on ne
voit l'extrême limite ni à l'est ni à l'ouest.
-- Oui... immense! répliqua le Portugais. Si nous étions obligés de la
contourner par l'est, des mois s'écouleraient avant que nous l'eussions
laissée en arrière!...
-- Tandis que par l'ouest...
-- Par l'ouest, répondit Urdax, et sans trop allonger la route, en suivant
sa lisière, nous rencontrerons l'Oubanghi aux environs des rapides de
Zongo.
-- Est-ce que de la traverser n'abrégerait pas le voyage?... demanda Max
Huber.
-- Oui... d'une quinzaine de journées de marche.
-- Alors... pourquoi ne pas nous lancer à travers cette forêt?...
-- Parce qu'elle est impénétrable.
-- Oh! impénétrable!... répliqua Max Huber d'un air de doute.
-- Pas aux piétons, peut-être, observa le Portugais, et encore n'en suis-je
pas sûr, puisque aucun ne l'a essayé. Quant à y aventurer les attelages,
ce serait une tentative qui n'aboutirait pas.
-- Vous dites, Urdax, que personne n'a jamais essayé de s'engager dans
cette forêt?...
-- Essayé... je ne sais, monsieur Max, mais qu'on y ait réussi... non... et,
dans le Cameroun comme dans le Congo, personne ne s'aviserait de le
tenter. Qui aurait la prétention de passer là où il n'y a aucun sentier, au
milieu des halliers épineux et des ronces?... Je ne sais même si le feu et
la hache parviendraient à déblayer le chemin, sans parler des arbres
morts, qui doivent former d'insurmontables obstacles...
-- Insurmontables, Urdax?...
-- Voyons, cher ami, dit alors John Cort, n'allez pas vous emballer sur
cette forêt, et estimons-nous heureux de n'avoir qu'à la contourner!...
J'avoue qu'il ne m'irait guère de m'aventurer à travers un pareil
labyrinthe d'arbres...
-- Pas même pour savoir ce qu'il renferme?...
-- Et que voulez-vous qu'on y trouve, Max?... Des royaumes inconnus,
des villes enchantées, des eldorados mythologiques, des animaux
d'espèce nouvelle, des carnassiers à cinq pattes et des êtres humains à
trois jambes?...
-- Pourquoi pas, John?... Et rien de tel que d'y aller voir!...»
Llanga, ses grands yeux attentifs, sa physionomie éveillée, semblait
dire que, si Max Huber se hasardait sous ces bois, il n'aurait pas peur de
l'y suivre.
«Dans tous les cas, reprit John Cort, puisque Urdax n'a pas l'intention
de la traverser pour atteindre les rives de l'Oubanghi...
-- Non, certes, répliqua le Portugais. Ce serait s'exposer à n'en pouvoir
plus sortir!
-- Eh bien, mon cher Max, allons faire un somme, et permis à vous de
chercher à découvrir les mystères de cette forêt, de vous risquer en ces
impénétrables massifs... en rêve seulement, et encore n'est-ce pas même
très prudent...
-- Riez, John, riez de moi à votre aise! Mais je me souviens de ce qu'a
dit un de nos poètes... je ne sais plus lequel:
_Fouiller dans l'inconnu pour trouver du nouveau._
-- Vraiment, Max?... Et quel est le vers qui rime avec celui-là?
-- Ma foi... je l'ai oublié, John!
-- Oubliez donc le premier comme vous avez oublié le second, et allons
dormir.»
C'était évidemment le parti le plus sage et sans s'abriter dans le chariot.
Une nuit au pied du tertre, sous ces larges tamarins dont la fraîcheur
tempérait quelque peu la chaleur ambiante, si forte encore après le
coucher du soleil, cela n'était pas pour inquiéter des habitués de «l'hôtel
de la _Belle-Étoile_», quand le temps le permettait. Ce soir-là, bien que
les constellations fussent cachées derrière d'épais nuages, la pluie ne
menaçant pas, il était infiniment préférable de coucher en plein air.
Le jeune indigène apporta des couvertures. Les deux amis, étroitement
enveloppés, s'étendirent entre les racines d'un tamarin, -- un vrai cadre
de cabine, -- et Llanga se blottit à leur côté, comme un chien de garde.
Avant de les imiter, Urdax et Khamis voulurent une dernière fois faire
le tour du campement, s'assurer que les boeufs
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