Le vicomte de Bragelonne, Tome IV. | Page 8

Alexandre Dumas
vers lequel Raoul se dirigea, le premier objet sur lequel il fixa les yeux. Au reste, Raoul cédait à son habitude; c’était, chaque fois qu’il rentrait chez lui, ce portrait qui, avant toute chose, attirait ses yeux. Cette fois, comme toujours, il alla donc droit au portrait, posa ses genoux sur la chaise longue, et s’arrêta à le regarder tristement.
Il avait les bras croisés sur la poitrine, la tête doucement levée, l’oeil calme et voilé, la bouche plissée par un sourire amer.
Il regarda l’image adorée; puis tout ce qu’il avait dit repassa dans son esprit, tout ce qu’il avait souffert assaillit son coeur, et, après un long silence:
-- ? malheureux dit-il pour la troisième fois.
à peine avait-il prononcé ces deux mots, qu’un soupir et une plainte se firent entendre derrière lui.
Il se retourna vivement, et, dans l’angle du salon, il aper?ut, debout, courbée, voilée, une femme qu’en entrant il avait cachée derrière le déplacement de la porte, et que depuis il n’avait pas vue, ne s’étant pas retourné.
Il s’avan?a vers cette femme, dont personne ne lui avait annoncé la présence, saluant et s’informant à la fois, quand tout à coup la tête baissée se releva, le voile écarté laissa voir le visage, et une figure blanche et triste lui apparut.
Raoul se recula, comme il e?t fait devant un fant?me.
-- Louise! s’écria-t-il avec un accent si désespéré, qu’on n’e?t pas cru que la voix humaine p?t jeter un pareil cri sans que se brisassent toutes les fibres du coeur.
-- Voulez-vous me faire la grace de vous asseoir et de m’écouter? dit Louise, l’interrompant avec sa plus douce voix.
Bragelonne la regarda un instant; puis, secouant tristement la tête, il s’assit ou plut?t tomba sur une chaise.
-- Parlez, dit-il.
Elle jeta un regard à la dérobée autour d’elle. Ce regard était une prière et demandait bien mieux le secret qu’un instant auparavant ne l’avaient fait ses paroles.
Raoul se releva, et, allant à la porte qu’il ouvrit:
-- Olivain, dit-il, je n’y suis pour personne.
Puis, se retournant vers La Vallière:
-- C’est cela que vous désirez? dit-il.
Rien ne peut rendre l’effet que fit sur Louise cette parole qui signifiait: ?Vous voyez que je vous comprends encore, moi.?
Elle passa son mouchoir sur ses yeux pour éponger une larme rebelle; puis, s’étant recueillie un instant:
-- Raoul, dit-elle, ne détournez point de moi votre regard si bon et si franc; vous n’êtes pas un de ces hommes qui méprisent une femme parce qu’elle a donné son coeur, d?t cet amour faire leur malheur ou les blesser dans leur orgueil.
Raoul ne répondit point.
-- Hélas! continua La Vallière, ce n’est que trop vrai; ma cause est mauvaise, et je ne sais par quelle phrase commencer. Tenez, je ferai mieux, je crois, de vous raconter tout simplement ce qui m’arrive. Comme je dirai la vérité, je trouverai toujours mon droit chemin, dans l’obscurité, dans l’hésitation, dans les obstacles que j’ai à braver, pour soulager mon coeur qui déborde et veut se répandre à vos pieds.
Raoul continua de garder le silence.
La Vallière le regardait d’un air qui voulait dire: ?Encouragez- moi! par pitié, un mot!?
Mais Raoul se tut et la jeune fille dut continuer.
Chapitre CC -- Blessures sur blessures
Mlle de La Vallière, car c’était bien elle, fit un pas en avant.
-- Oui, Louise, murmura-t-elle.
Mais dans cet intervalle, si court qu’il f?t, Raoul avait eu le temps de se remettre.
-- Vous, mademoiselle? dit-il.
Puis, avec un accent indéfinissable:
-- Vous ici? ajouta-t-il.
-- Oui, Raoul, répéta la jeune fille; oui, moi, qui vous attendais.
-- Pardon; lorsque je suis rentré, j’ignorais...
-- Oui, et j’avais recommandé à Olivain de vous laisser ignorer...
Elle hésita; et, comme Raoul ne se pressait pas de lui répondre, il se fit un silence d’un instant, silence pendant lequel on e?t pu entendre le bruit de ces deux coeurs qui battaient, non plus à l’unisson l’un de l’autre, mais aussi violemment l’un que l’autre.
C’était à Louise de parler. Elle fit un effort.
-- J’avais à vous parler, dit-elle; il fallait absolument que je vous visse... moi-même... seule... Je n’ai point reculé devant une démarche qui doit rester secrète; car personne, excepté vous, ne la comprendrait, monsieur de Bragelonne.
-- En effet, mademoiselle, balbutia Raoul, tout effaré, tout haletant, et moi même, malgré la bonne opinion que vous avez de moi, j’avoue...
-- Tout à l’heure, dit-elle, M. de Saint-Aignan est venu chez moi de la part du roi.
Elle baissa les yeux.
De son c?té, Raoul détourna les siens pour ne rien voir.
-- M. de Saint-Aignan est venu chez moi de la part du roi, répéta- t-elle, et il m’a dit que vous saviez tout.
Et elle essaya de regarder en face celui qui recevait cette blessure après tant d’autres blessures; mais il lui fut impossible de rencontrer les yeux de Raoul.
-- Il m’a dit que vous aviez con?u contre moi une légitime colère.
Cette fois, Raoul regarda la jeune fille, et un
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