s’inclina et répondit:
-- Je voudrais avoir le bonheur d’être toujours auprès de Votre Majesté.
Cette réponse, faite sur ce ton, signifiait manifestement: ?Je voudrais pouvoir être un des conseillers du roi pour lui épargner des fautes.?
Le roi le sentit, et, décidé devant cet homme à conserver l’avantage du calme avec l’avantage du rang:
-- Je vois que vous avez quelque chose à me dire, fit-il.
-- Je ne me serais pas, sans cela, permis de me présenter chez Votre Majesté.
-- Dites vite, monsieur, j’ai hate de vous satisfaire.
Le roi s’assit.
-- Je suis persuadé, répliqua Athos d’un ton légèrement ému, que Votre Majesté me donnera toute satisfaction.
-- Ah! dit le roi avec une certaine hauteur, c’est une plainte que vous venez formuler ici?
-- Ce ne serait une plainte, reprit Athos, que si Votre Majesté... Mais, veuillez m’excuser, Sire, je vais reprendre l’entretien à son début.
-- J’attends.
-- Le roi se souvient qu’à l’époque du départ de M. de Buckingham, j’ai eu l’honneur de l’entretenir.
-- à cette époque, à peu près... Oui, je me le rappelle; seulement, le sujet de l’entretien... je l’ai oublié.
Athos tressaillit.
-- J’aurai l’honneur de le rappeler au roi, dit-il. Il s’agissait d’une demande que je venais adresser à Votre Majesté, touchant le mariage que voulait contracter M. de Bragelonne avec Mlle de La Vallière.
-- Nous y voici, pensa le roi. Je me souviens, dit-il tout haut.
-- à cette époque, poursuivit Athos, le roi fut si bon et si généreux envers moi et M. de Bragelonne, que pas un des mots prononcés par Sa Majesté ne m’est sorti de la mémoire.
-- Et?... fit le roi.
-- Et le roi, à qui je demandais Mlle de La Vallière pour M. de Bragelonne, me refusa.
-- C’est vrai, dit sèchement Louis.
-- En alléguant, se hata de dire Athos, que la fiancée n’avait pas d’état dans le monde.
Louis se contraignit pour écouter patiemment.
-- Que... ajouta Athos, elle avait peu de fortune.
Le roi s’enfon?a dans son fauteuil.
-- Peu de naissance.
Nouvelle impatience du roi.
-- Et peu de beauté, ajouta encore impitoyablement Athos.
Ce dernier trait, enfoncé dans le coeur de l’amant le fit bondir hors mesure.
-- Monsieur, dit-il, voilà une bien bonne mémoire!
-- C’est toujours ce qui m’arrive quand j’ai l’honneur si grand d’un entretien avec le roi, repartit le comte sans se troubler.
-- Enfin, j’ai dit tout cela, soit!
-- Et j’en ai beaucoup remercié Votre Majesté, Sire, parce que ces paroles témoignaient d’un intérêt bien honorable pour M. de Bragelonne.
-- Vous vous rappelez aussi, dit le roi en pesant sur ces paroles, que vous aviez pour ce mariage une grande répugnance?
-- C’est vrai, Sire.
-- Et que vous faisiez la demande à contrecoeur?
-- Oui, Votre Majesté.
-- Enfin, je me rappelle aussi, car j’ai une mémoire presque aussi bonne que la v?tre, je me rappelle, dis-je, que vous avez dit ces paroles: ?Je ne crois pas à l’amour de Mlle de La Vallière pour M. de Bragelonne.? Est-ce vrai?
Athos sentit le coup, il ne recula pas.
-- Sire, dit-il, j’en ai déjà demandé pardon à Votre Majesté, mais il est certaines choses dans cet entretien qui ne seront intelligibles qu’au dénouement.
-- Voyons le dénouement, alors.
-- Le voici. Votre Majesté avait dit qu’elle différait le mariage pour le bien de M. de Bragelonne.
Le roi se tut.
-- Aujourd’hui, M. de Bragelonne est tellement malheureux, qu’il ne peut différer plus longtemps de demander une solution à Votre Majesté.
Le roi palit. Athos le regarda fixement.
-- Et que... demande-t-il... M. de Bragelonne? dit le roi avec hésitation.
-- Absolument ce que je venais demander au roi dans la dernière entrevue: le consentement de Votre Majesté à son mariage.
Le roi se tut.
-- Les questions relatives aux obstacles sont aplanies pour nous, continua Athos. Mlle de La Vallière, sans fortune, sans naissance et sans beauté, n’en est pas moins le seul beau parti du monde pour M. de Bragelonne, puisqu’il aime cette jeune fille.
Le roi serra ses mains l’une contre l’autre.
-- Le roi hésite? demanda le comte sans rien perdre de sa fermeté ni de sa politesse.
-- Je n’hésite pas... je refuse, répliqua le roi.
Athos se recueillit un moment.
-- J’ai eu l’honneur, dit-il d’une voix douce, de faire observer au roi que nul obstacle n’arrêtait les affections de M. de Bragelonne, et que sa détermination semblait invariable.
-- Il y a ma volonté; c’est un obstacle, je crois?
-- C’est le plus sérieux de tous, riposta Athos.
-- Ah!
-- Maintenant, qu’il nous soit permis de demander humblement à Votre Majesté la raison de ce refus.
-- La raison?... Une question? s’écria le roi.
-- Une demande, Sire.
Le roi, s’appuyant sur la table avec les deux poings:
-- Vous avez perdu l’usage de la Cour, monsieur de La Fère, dit-il d’une voix concentrée. à la Cour, on ne questionne pas le roi.
-- C’est vrai, Sire; mais, si l’on ne questionne pas, on suppose.
-- On suppose! que veut dire cela?
-- Presque toujours la supposition du sujet implique la franchise
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