Le vicomte de Bragelonne, Tome IV. | Page 7

Alexandre Dumas
entendre quelques paroles de sourde menace.
-- Et cependant, continua-t-il, si je m��appelais de Wardes, et que j��eusse �� la fois la souplesse et la vigueur de M. d��Artagnan, je rirais avec les l��vres, je convaincrais les femmes que cette perfide, honor��e de mon amour, ne me laisse qu��un regret, celui d��avoir ��t�� abus�� par ses semblants d��honn��tet��; quelques railleurs flagorneraient le roi �� mes d��pens; je me mettrais �� l��aff?t sur le chemin des railleurs, j��en chatierais quelques-uns. Les hommes me redouteraient et, au troisi��me que j��aurais couch�� �� mes pieds, je serais ador�� par les femmes.
Oui, voil�� un parti �� prendre, et le comte de La F��re lui-m��me n��y r��pugnerait pas. N��a-t-il pas ��t�� ��prouv��, lui aussi, au milieu de sa jeunesse, comme je viens de l����tre? N��a-t-il pas remplac�� l��amour par l��ivresse? Il me l��a dit souvent. Pourquoi, moi, ne remplacerais-je pas l��amour par le plaisir?
Il avait souffert autant que je souffre, plus peut-��tre! L��histoire d��un homme est donc l��histoire de tous les hommes? une ��preuve plus ou moins longue plus ou moins douloureuse? La voix de l��humanit�� tout enti��re n��est qu��un long cri.
Mais qu��importe la douleur des autres �� celui qui souffre? La plaie ouverte dans une autre poitrine adoucit-elle la plaie b��ante sur la n?tre? Le sang qui coule �� c?t�� de nous tarit-il notre sang? Cette angoisse universelle diminue-t-elle l��angoisse particuli��re? Non, chacun souffre pour soi, chacun lutte avec sa douleur, chacun pleure ses propres larmes.
Et, d��ailleurs, qu��a ��t�� la vie pour moi jusqu���� pr��sent? Une ar��ne froide et st��rile o�� j��ai combattu pour les autres toujours, pour moi jamais.
Tant?t pour un roi, tant?t pour une femme.
Le roi m��a trahi, la femme m��a d��daign��.
Oh! malheureux!... Les femmes! Ne pourrais-je donc faire expier �� toutes le crime de l��une d��elles?
Que faut-il pour cela?... N��avoir plus de coeur, ou oublier qu��on en a un; ��tre fort, m��me contre la faiblesse; appuyer toujours, m��me lorsque l��on sent rompre.
Que faut-il pour en arriver l��? ��tre jeune, beau, fort, vaillant, riche. Je suis ou je serai tout cela.
Mais l��honneur? Qu��est-ce que l��honneur? Une th��orie que chacun comprend �� sa fa?on. Mon p��re me disait: ?L��honneur, c��est le respect de ce que l��on doit aux autres, et surtout de ce qu��on se doit �� soi-m��me.? Mais de Guiche, mais Manicamp, mais de Saint- Aignan surtout me diraient: ?L��honneur consiste �� servir les passions et les plaisirs de son roi.? Cet honneur-l�� est facile et productif. Avec cet honneur-l��, je puis garder mon poste �� la Cour, devenir gentilhomme de la Chambre, avoir un beau et bon r��giment �� moi. Avec cet honneur-l��, je puis ��tre duc et pair.
La tache que vient de m��imprimer cette femme, cette douleur avec laquelle elle vient de briser mon coeur, �� moi, Raoul, son ami d��enfance, ne touche en rien M. de Bragelonne, bon officier, brave capitaine qui se couvrira de gloire �� la premi��re rencontre, et qui deviendra cent fois plus que n��est aujourd��hui Mlle de La Valli��re, la ma?tresse du roi; car le roi n����pousera pas Mlle de La Valli��re, et plus il la d��clarera publiquement sa ma?tresse, plus il ��paissira le bandeau de honte qu��il lui jette au front en guise de couronne, et, �� mesure qu��on la m��prisera comme je la m��prise, moi, je me glorifierai.
H��las! nous avions march�� ensemble, elle et moi, pendant le premier, pendant le plus beau tiers de notre vie, nous tenant par la main le long du sentier charmant et plein de fleurs de la jeunesse, et voil�� que nous arrivons �� un carrefour o�� elle se s��pare de moi, o�� nous allons suivre une route diff��rente qui ira nous ��cartant toujours davantage l��un de l��autre; et, pour atteindre le bout de ce chemin, Seigneur, je suis seul, je suis d��sesp��r��, je suis an��anti!
? malheureux!...
Raoul en ��tait l�� de ses r��flexions sinistres, quand son pied se posa machinalement sur le seuil de sa maison. Il ��tait arriv�� l�� sans voir les rues par lesquelles il passait, sans savoir comment il ��tait venu; il poussa la porte, continua d��avancer et gravit l��escalier.
Comme dans la plupart des maisons de cette ��poque, l��escalier ��tait sombre et les paliers ��taient obscurs. Raoul logeait au premier ��tage; il s��arr��ta pour sonner. Olivain parut, lui prit des mains l����p��e et le manteau. Raoul ouvrit lui-m��me la porte qui, de l��antichambre, donnait dans un petit salon assez richement meubl�� pour un salon de jeune homme, et tout garni de fleurs par Olivain, qui, connaissant les go?ts de son ma?tre, s����tait empress�� d��y satisfaire, sans s��inqui��ter s��il s��apercevrait ou ne s��apercevrait pas de cette attention.
Il y avait dans le salon un portrait de La Valli��re que La Valli��re elle-m��me avait dessin�� et avait donn�� �� Raoul. Ce portrait, accroch�� au-dessus d��une grande chaise longue recouverte de damas de couleur sombre, fut le premier point vers
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