Le vicomte de Bragelonne, Tome III. | Page 8

Alexandre Dumas
à cet appel du
roi.
Alors il aida Louis à faire asseoir la jeune fille sur un fauteuil, lui
frappa dans les mains, lui répandit de l’eau de la reine de Hongrie en lui
répétant:
-- Mademoiselle, allons, mademoiselle, c’est fini, le roi vous croit, le
roi vous pardonne. Eh! là, là! prenez garde, vous allez émouvoir trop
violemment le roi, mademoiselle; Sa Majesté est sensible, Sa Majesté a
un coeur. Ah! diable! mademoiselle, faites- y attention, le roi est fort
pâle.
En effet, le roi pâlissait visiblement.
Quant à La Vallière, elle ne bougeait pas.
-- Mademoiselle! mademoiselle! en vérité, continuait de Saint- Aignan,
revenez à vous, je vous en prie, je vous en supplie, il est temps; songez
à une chose, c’est que si le roi se trouvait mal, je serais obligé d’appeler
son médecin. Ah! quelle extrémité, mon Dieu! Mademoiselle, chère
mademoiselle, revenez à vous, faites un effort, vite, vite!
Il était difficile de déployer plus d’éloquence persuasive que ne le
faisait Saint-Aignan; mais quelque chose de plus énergique et de plus

actif encore que cette éloquence réveilla La Vallière.
Le roi s’était agenouillé devant elle, et lui imprimait dans la paume de
la main ces baisers brûlants qui sont aux mains ce que le baiser des
lèvres est au visage. Elle revint enfin à elle, rouvrit languissamment les
yeux, et, avec un mourant regard:
-- Oh! Sire, murmura-t-elle, Votre Majesté m’a donc pardonné?
Le roi ne répondit pas... il était encore trop ému.
De Saint-Aignan crut devoir s’éloigner de nouveau... Il avait deviné la
flamme qui jaillissait des yeux de Sa Majesté.
La Vallière se leva.
-- Et maintenant, Sire, dit-elle avec courage, maintenant que je me suis
justifiée, je l’espère du moins, aux yeux de Votre Majesté,
accordez-moi de me retirer dans un couvent. J’y bénirai mon roi toute
ma vie, et j’y mourrai en aimant Dieu, qui m’a fait un jour de bonheur.
-- Non, non, répondit le roi, non, vous vivrez ici en bénissant Dieu, au
contraire, mais en aimant Louis, qui vous fera toute une existence de
félicité, Louis qui vous aime, Louis qui vous le jure!
-- Oh! Sire, Sire!...
Et sur ce doute de La Vallière, les baisers du roi devinrent si brûlants,
que de Saint-Aignan crut qu’il était de son devoir de passer de l’autre
côté de la tapisserie.
Mais ces baisers, qu’elle n’avait pas eu la force de repousser d’abord,
commencèrent à brûler la jeune fille.
-- Oh! Sire, s’écria-t-elle alors, ne me faites pas repentir d’avoir été si
loyale, car ce serait me prouver que Votre Majesté me méprise encore.
-- Mademoiselle, dit soudain le roi en se reculant plein de respect, je
n’aime et n’honore rien au monde plus que vous, et rien à ma cour ne
sera, j’en jure Dieu, aussi estimé que vous ne le serez désormais; je
vous demande donc pardon de mon emportement, mademoiselle, il
venait d’un excès d’amour; mais je puis vous prouver que j’aimerai
encore davantage, en vous respectant autant que vous pourrez le
désirer.
Puis, s’inclinant devant elle et lui prenant la main:
-- Mademoiselle, lui dit-il, voulez-vous me faire cet honneur d’agréer le
baiser que je dépose sur votre main?
Et la lèvre du roi se posa respectueuse et légère sur la main frissonnante
de la jeune fille.

-- Désormais, ajouta Louis en se relevant et en couvrant La Vallière de
son regard, désormais vous êtes sous ma protection. Ne parlez à
personne du mal que je vous ai fait, pardonnez aux autres celui qu’ils
ont pu vous faire. À l’avenir, vous serez tellement au-dessus de ceux-là,
que, loin de vous inspirer de la crainte, ils ne vous feront plus même
pitié.
Et il salua religieusement comme au sortir d’un temple.
Puis, appelant de Saint-Aignan, qui s’approcha tout humble:
-- Comte, dit-il, j’espère que Mademoiselle voudra bien vous accorder
un peu de son amitié en retour de celle que je lui ai vouée à jamais.
De Saint-Aignan fléchit le genou devant La Vallière.
-- Quelle joie pour moi, murmura-t-il, si Mademoiselle me fait un
pareil honneur!
-- Je vais vous renvoyer votre compagne, dit le roi. Adieu,
mademoiselle, ou plutôt au revoir: faites-moi la grâce de ne pas
m’oublier dans votre prière.
-- Oh! Sire, dit La Vallière, soyez tranquille: vous êtes avec Dieu dans
mon coeur.
Ce dernier mot enivra le roi, qui, tout joyeux, entraîna de Saint- Aignan
par les degrés.
Madame n’avait pas prévu ce dénouement-là: ni naïade ni dryade n’en
avaient parlé.
Chapitre CXXXIV -- Le nouveau général des jésuites
Tandis que La Vallière et le roi confondaient dans leur premier aveu
tous les chagrins du passé, tout le bonheur du présent, toutes les
espérances de l’avenir, Fouquet, rentré chez lui, c’est-à-dire dans
l’appartement qui lui avait été départi au château, Fouquet s’entretenait
avec Aramis, justement
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 194
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.