Le vicomte de Bragelonne, Tome III. | Page 6

Alexandre Dumas
roi! s’écria Malicorne en se courbant jusqu’aux genoux du roi.
-- Oui, le roi, dit Louis en souriant, le roi qui vous sait aussi bon gré de
votre résistance que de votre capitulation. Relevez- vous, monsieur;
rendez nous le service que nous vous demandons.
-- Sire, à vos ordres, dit Malicorne en montant l’escalier.
-- Faites descendre Mlle de Montalais, dit le roi, et ne lui sonnez mot de
ma visite.
Malicorne s’inclina en signe d’obéissance et continua de monter.
Mais le roi, par une vive réflexion, le suivit, et cela avec une rapidité si
grande, que, quoique Malicorne eût déjà la moitié des escaliers
d’avance, il arriva en même temps que lui à la chambre.
Il vit alors, par la porte demeurée entrouverte derrière Malicorne, La
Vallière toute renversée dans un fauteuil, et à l’autre coin Montalais,
qui peignait ses cheveux, en robe de chambre, debout devant une
grande glace et tout en parlementant avec Malicorne.
Le roi ouvrit brusquement la porte et entra.
Montalais poussa un cri au bruit que fit la porte, et, reconnaissant le roi,
elle s’esquiva.
À cette vue, La Vallière, de son côté, se redressa comme une morte
galvanisée et retomba sur son fauteuil.
Le roi s’avança lentement vers elle.
-- Vous voulez une audience, mademoiselle, lui dit-il avec froideur, me
voici prêt à vous entendre. Parlez.
De Saint-Aignan, fidèle à son rôle de sourd, d’aveugle et de muet, de
Saint-Aignan s’était placé, lui, dans une encoignure de porte, sur un
escabeau que le hasard lui avait procuré tout exprès.
Abrité sous la tapisserie qui servait de portière, adossé à la muraille
même, il écouta ainsi sans être vu, se résignant au rôle de bon chien de
garde qui attend et qui veille sans jamais gêner le maître. La Vallière,
frappée de terreur à l’aspect du roi irrité, se leva une seconde fois, et,
demeurant dans une posture humble et suppliante:
-- Sire, balbutia-t-elle, pardonnez-moi.
-- Eh! mademoiselle, que voulez-vous que je vous pardonne? demanda
Louis XIV.
-- Sire, j’ai commis une grande faute, plus qu’une grande faute, un

grand crime.
-- Vous?
-- Sire, j’ai offensé Votre Majesté.
-- Pas le moins du monde, répondit Louis XIV.
-- Sire, je vous en supplie, ne gardez point vis-à-vis de moi cette
terrible gravité qui décèle la colère bien légitime du roi. Je sens que je
vous ai offensé, Sire; mais j’ai besoin de vous expliquer comment je ne
vous ai point offensé de mon plein gré.
-- Et d’abord, mademoiselle, dit le roi, en quoi m’auriez-vous offensé?
Je ne le vois pas. Est-ce par une plaisanterie de jeune fille, plaisanterie
fort innocente? Vous vous êtes raillée d’un jeune homme crédule: c’est
bien naturel; toute autre femme à votre place eût fait ce que vous avez
fait.
-- Oh! Votre Majesté m’écrase avec ces paroles.
-- Et pourquoi donc?
-- Parce que, si la plaisanterie fût venue de moi, elle n’eût pas été
innocente.
-- Enfin, mademoiselle, reprit le roi, est-ce là tout ce que vous aviez à
me dire en me demandant une audience?
Et le roi fit presque un pas en arrière.
Alors La Vallière, avec une voix brève et entrecoupée, avec des yeux
desséchés par le feu des larmes, fit à son tour un pas vers le roi.
-- Votre Majesté a tout entendu? dit-elle.
-- Tout, quoi?
-- Tout ce qui a été dit par moi au chêne royal?
-- Je n’en ai pas perdu une seule parole, mademoiselle.
-- Et Votre Majesté, lorsqu’elle m’eut entendue, a pu croire que j’avais
abusé de sa crédulité.
-- Oui, crédulité, c’est bien cela, vous avez dit le mot.
-- Et Votre Majesté n’a pas soupçonné qu’une pauvre fille comme moi
peut être forcée quelquefois de subir la volonté d’autrui?
-- Pardon, mais je ne comprendrai jamais que celle dont la volonté
semblait s’exprimer si librement sous le chêne royal se laissât
influencer à ce point par la volonté d’autrui.
-- Oh! mais la menace, Sire!
-- La menace!... Qui vous menaçait? qui osait vous menacer?
-- Ceux qui ont le droit de le faire, Sire.

-- Je ne reconnais à personne le droit de menace dans mon royaume.
-- Pardonnez-moi, Sire, il y a près de Votre Majesté même des
personnes assez haut placées pour avoir ou pour se croire le droit de
perdre une jeune fille sans avenir, sans fortune, et n’ayant que sa
réputation.
-- Et comment la perdre?
-- En lui faisant perdre cette réputation par une honteuse expulsion.
-- Oh! mademoiselle, dit le roi avec une amertume profonde, j’aime fort
les gens qui se disculpent sans incriminer les autres.
-- Sire!
-- Oui, et il m’est pénible, je l’avoue, de voir qu’une justification facile,
comme pourrait l’être la vôtre, se vienne compliquer devant moi d’un
tissu de reproches et d’imputations.
--
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