Le vicomte de Bragelonne, Tome III. | Page 8

Alexandre Dumas
deviné la flamme qui jaillissait des yeux de Sa Majesté.
La Vallière se leva.
-- Et maintenant, Sire, dit-elle avec courage, maintenant que je me suis justifiée, je l’espère du moins, aux yeux de Votre Majesté, accordez-moi de me retirer dans un couvent. J’y bénirai mon roi toute ma vie, et j’y mourrai en aimant Dieu, qui m’a fait un jour de bonheur.
-- Non, non, répondit le roi, non, vous vivrez ici en bénissant Dieu, au contraire, mais en aimant Louis, qui vous fera toute une existence de félicité, Louis qui vous aime, Louis qui vous le jure!
-- Oh! Sire, Sire!...
Et sur ce doute de La Vallière, les baisers du roi devinrent si br?lants, que de Saint-Aignan crut qu’il était de son devoir de passer de l’autre c?té de la tapisserie.
Mais ces baisers, qu’elle n’avait pas eu la force de repousser d’abord, commencèrent à br?ler la jeune fille.
-- Oh! Sire, s’écria-t-elle alors, ne me faites pas repentir d’avoir été si loyale, car ce serait me prouver que Votre Majesté me méprise encore.
-- Mademoiselle, dit soudain le roi en se reculant plein de respect, je n’aime et n’honore rien au monde plus que vous, et rien à ma cour ne sera, j’en jure Dieu, aussi estimé que vous ne le serez désormais; je vous demande donc pardon de mon emportement, mademoiselle, il venait d’un excès d’amour; mais je puis vous prouver que j’aimerai encore davantage, en vous respectant autant que vous pourrez le désirer.
Puis, s’inclinant devant elle et lui prenant la main:
-- Mademoiselle, lui dit-il, voulez-vous me faire cet honneur d’agréer le baiser que je dépose sur votre main?
Et la lèvre du roi se posa respectueuse et légère sur la main frissonnante de la jeune fille.
-- Désormais, ajouta Louis en se relevant et en couvrant La Vallière de son regard, désormais vous êtes sous ma protection. Ne parlez à personne du mal que je vous ai fait, pardonnez aux autres celui qu’ils ont pu vous faire. à l’avenir, vous serez tellement au-dessus de ceux-là, que, loin de vous inspirer de la crainte, ils ne vous feront plus même pitié.
Et il salua religieusement comme au sortir d’un temple.
Puis, appelant de Saint-Aignan, qui s’approcha tout humble:
-- Comte, dit-il, j’espère que Mademoiselle voudra bien vous accorder un peu de son amitié en retour de celle que je lui ai vouée à jamais.
De Saint-Aignan fléchit le genou devant La Vallière.
-- Quelle joie pour moi, murmura-t-il, si Mademoiselle me fait un pareil honneur!
-- Je vais vous renvoyer votre compagne, dit le roi. Adieu, mademoiselle, ou plut?t au revoir: faites-moi la grace de ne pas m’oublier dans votre prière.
-- Oh! Sire, dit La Vallière, soyez tranquille: vous êtes avec Dieu dans mon coeur.
Ce dernier mot enivra le roi, qui, tout joyeux, entra?na de Saint- Aignan par les degrés.
Madame n’avait pas prévu ce dénouement-là: ni na?ade ni dryade n’en avaient parlé.
Chapitre CXXXIV -- Le nouveau général des jésuites
Tandis que La Vallière et le roi confondaient dans leur premier aveu tous les chagrins du passé, tout le bonheur du présent, toutes les espérances de l’avenir, Fouquet, rentré chez lui, c’est-à-dire dans l’appartement qui lui avait été départi au chateau, Fouquet s’entretenait avec Aramis, justement de tout ce que le roi négligeait en ce moment.
-- Vous me direz, commen?a Fouquet, lorsqu’il eut installé son h?te dans un fauteuil et pris place lui-même à ses c?tés, vous me direz, monsieur d’Herblay, où nous en sommes maintenant de l’affaire de Belle-?le, et si vous en avez re?u quelques nouvelles.
-- Monsieur le surintendant, répondit Aramis, tout va de ce c?té comme nous le désirons; les dépenses ont été soldées, rien n’a transpiré de nos desseins.
-- Mais les garnisons que le roi voulait y mettre?
-- J’ai re?u ce matin la nouvelle qu’elles y étaient arrivées depuis quinze jours.
-- Et on les a traitées?
-- à merveille.
-- Mais l’ancienne garnison, qu’est-elle devenue?
-- Elle a repris terre à Sarzeau, et on l’a immédiatement dirigée sur Quimper.
-- Et les nouveaux garnisaires?
-- Sont à nous à cette heure.
-- Vous êtes s?r de ce que vous dites, mon cher monsieur de Vannes?
-- S?r, et vous allez voir, d’ailleurs, comment les choses se sont passées.
-- Mais de toutes les garnisons, vous savez cela, Belle-?le est justement la plus mauvaise.
-- Je sais cela et j’agis en conséquence; pas d’espace, pas de communications, pas de femmes, pas de jeu; or, aujourd’hui, c’est grande pitié, ajouta Aramis avec un de ces sourires qui n’appartenaient qu’à lui, de voir combien les jeunes gens cherchent à se divertir, et combien, en conséquence, ils inclinent vers celui qui paie les divertissements.
-- Mais s’ils s’amusent à Belle-?le?
-- S’ils s’amusent de par le roi, ils aimeront le roi; mais s’ils s’ennuient de par le roi et s’amusent de par M. Fouquet, ils aimeront M. Fouquet.
-- Et vous avez prévenu mon intendant, afin qu’aussit?t leur arrivée...
-- Non pas: on les a laissés
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