Le tour du mond quatre-vingts jours | Page 4

Jules Verne
qui ne
s'absentait jamais, pas même un jour, ne pouvait que lui convenir. Il se
présenta et fut admis dans les circonstances que l'on sait.
Passepartout -- onze heures et demie étant sonnées -- se trouvait donc
seul dans la maison de Saville-row. Aussitôt il en commença
l'inspection. Il la parcourut de la cave au grenier. Cette maison propre,
rangée, sévère, puritaine, bien organisée pour le service, lui plut. Elle
lui fit l'effet d'une belle coquille de colimaçon, mais d'une coquille
éclairée et chauffée au gaz, car l'hydrogène carburé y suffisait à tous les
besoins de lumière et de chaleur. Passepartout trouva sans peine, au
second étage, la chambre qui lui était destinée. Elle lui convint. Des
timbres électriques et des tuyaux acoustiques la mettaient en
communication avec les appartements de l'entresol et du premier étage.
Sur la cheminée, une pendule électrique correspondait avec la pendule
de la chambre à coucher de Phileas Fogg, et les deux appareils battaient
au même instant, la même seconde.
« Cela me va, cela me va ! » se dit Passepartout.
Il remarqua aussi, dans sa chambre, une notice affichée au-dessus de la
pendule. C'était le programme du service quotidien. Il comprenait --

depuis huit heures du matin, heure réglementaire à laquelle se levait
Phileas Fogg, jusqu'à onze heures et demie, heure à laquelle il quittait
sa maison pour aller déjeuner au Reform-Club -- tous les détails du
service, le thé et les rôties de huit heures vingt-trois, l'eau pour la barbe
de neuf heures trente-sept, la coiffure de dix heures moins vingt, etc.
Puis de onze heures et demie du matin à minuit -- heure à laquelle se
couchait le méthodique gentleman --, tout était noté, prévu, régularisé.
Passepartout se fit une joie de méditer ce programme et d'en graver les
divers articles dans son esprit.
Quant à la garde-robe de monsieur, elle était fort bien montée et
merveilleusement comprise. Chaque pantalon, habit ou gilet portait un
numéro d'ordre reproduit sur un registre d'entrée et de sortie, indiquant
la date à laquelle, suivant la saison, ces vêtements devaient être tour à
tour portés. Même réglementation pour les chaussures.
En somme, dans cette maison de Saville-row qui devait être le temple
du désordre à l'époque de l'illustre mais dissipé Sheridan --,
ameublement confortable, annonçant une belle aisance. Pas de
bibliothèque, pas de livres, qui eussent été sans utilité pour Mr. Fogg,
puisque le Reform-Club mettait à sa disposition deux bibliothèques,
l'une consacrée aux lettres, l'autre au droit et à la politique. Dans la
chambre à coucher, un coffre-fort de moyenne grandeur, que sa
construction défendait aussi bien de l'incendie que du vol. Point
d'armes dans la maison, aucun ustensile de chasse ou de guerre. Tout y
dénotait les habitudes les plus pacifiques.
Après avoir examiné cette demeure en détail, Passepartout se frotta les
mains, sa large figure s'épanouit, et il répéta joyeusement :
«Cela me va ! voilà mon affaire ! Nous nous entendrons parfaitement,
Mr. Fogg et moi ! Un homme casanier et régulier ! Une véritable
mécanique ! Eh bien, je ne suis pas fâché de servir une mécanique ! »
III
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OU S'ENGAGE UNE CONVERSATION QUI POURRA COUTER
CHER A PHILEAS FOGG
Phileas Fogg avait quitté sa maison de Saville-row à onze heures et
demie, et, après avoir placé cinq cent soixante-quinze fois son pied
droit devant son pied gauche et cinq cent soixante-seize fois son pied
gauche devant son pied droit, il arriva au Reform-Club, vaste édifice,
élevé dans Pall-Mall, qui n'a pas coûté moins de trois millions à bâtir.
Phileas Fogg se rendit aussitôt à la salle à manger, dont les neuf
fenêtres s'ouvraient sur un beau jardin aux arbres déjà dorés par
l'automne. Là, il prit place à la table habituelle où son couvert
l'attendait. Son déjeuner se composait d'un hors-d'oeuvre, d'un poisson
bouilli relevé d'une « reading sauce » de premier choix, d'un roastbeef
écarlate agrémenté de condiments « mushroom », d'un gâteau farci de
tiges de rhubarbe et de groseilles vertes, d'un morceau de chester, -- le
tout arrosé de quelques tasses de cet excellent thé, spécialement
recueilli pour l'office du Reform-Club.
A midi quarante-sept, ce gentleman se leva et se dirigea vers le grand
salon, somptueuse pièce, ornée de peintures richement encadrées. Là,
un domestique lui remit le Times non coupé, dont Phileas Fogg opéra le
laborieux dépliage avec une sûreté de main qui dénotait une grande
habitude de cette difficile opération. La lecture de ce journal occupa
Phileas Fogg jusqu'à trois heures quarante-cinq, et celle du Standard --
qui lui succéda -- dura jusqu'au dîner. Ce repas s'accomplit dans les
mêmes conditions que le déjeuner, avec adjonction de « royal british
sauce ».
A six heures moins vingt, le gentleman reparut dans le grand salon et
s'absorba dans la lecture du Morning Chronicle.
Une demi-heure
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