Le socialisme en danger | Page 2

Ferdinand Domela Nieuwenhuis
ses contemporains par l'énergie de sa pensée, la puissance de son action, l'intensité de son dévouement; mais, après avoir fait son oeuvre, qu'il n'ait pas la prétention de devenir un dieu, et surtout que, malgré lui, on ne le considère pas comme tel! Ce serait vouloir que le bien fait par l'individu se transformat en mal au nom de l'idole. Tout homme faiblit un jour après avoir lutté, et combien parmi nous cèdent à la fatigue, ou bien aux sollicitations de la vanité, aux emb?ches que tendent de perfides amis! Et même le lutteur f?t-il resté vaillant et pur jusqu'à la fin, on lui prêtera certainement un autre langage que le sien, et même on utilisera les paroles qu'il a prononcées en les détournant de leur sens vrai.
Ainsi voyez comment on a traité cette individualité puissante, Marx, en l'honneur duquel des fanatisés, par centaines de mille, lèvent les bras au ciel, se promettant d'observer religieusement sa doctrine! Tout un parti, toute une armée ayant plusieurs dizaines de députés au Parlement germanique, n'interprètent-ils pas maintenant cette doctrine marxiste précisément en un sens contraire de la pensée du ma?tre? Il déclara que le pouvoir économique détermine la forme politique des sociétés, et l'on affirme maintenant en son nom que le pouvoir économique dépendra d'une majorité de parti dans les Assemblées politiques. Il proclama que ?l'état, pour abolir le paupérisme, doit s'abolir lui-même, car l'essence du mal g?t dans l'existence même de l'état!? Et l'on se met dévotement à son ombre pour conquérir et diriger l'état! Certes, si la politique de Marx doit triompher, ce sera, comme la religion du Christ, à la condition que le ma?tre, adoré en apparence, soit renié dans la pratique des choses.
Les lecteurs de Domela Nieuwenhuis apprendront aussi à redouter le danger que présentent les voies obliques des politiciens. Quel est l'objectif de tous les socialistes sincères? Sans doute chacun d'eux conviendra que son idéal serait une société où chaque individu, se développant intégralement dans sa force, son intelligence et sa beauté physique et morale, contribuera librement à l'accroissement de l'avoir humain. Mais quel est le moyen d'arriver le plus vite possible à cet état de choses? ?Prêcher cet idéal, nous instruire mutuellement, nous grouper pour l'entr'aide, pour la pratique fraternelle de toute oeuvre bonne, pour la révolution!?, diront tout d'abord les na?fs et les simples comme nous.--?Ah! quelle est votre erreur! nous est-il répondu: le moyen est de recueillir des votes et de conquérir les pouvoirs publics?. D'après ce groupe parlementaire, il convient de se substituer à l'état et, par conséquent, de se servir des moyens de l'état, en attirant les électeurs par toutes les manoeuvres qui les séduisent, en se gardant bien de heurter leurs préjugés. N'est-il pas fatal que les candidats au pouvoir, dirigés par cette politique, prennent part aux intrigues, aux cabales, aux compromis parlementaires? Enfin, s'ils devenaient un jour les ma?tres, ne seraient-ils pas forcément entra?nés à employer la force, avec tout l'appareil de répression et de compression qu'on appelle l'armée citoyenne ou nationale, la gendarmerie, la police et tout le reste de l'immonde outillage? C'est par cette voie si largement ouverte depuis le commencement des ages, que les novateurs arriveront au pouvoir, en admettant que les ba?onnettes ne renversent pas le scrutin avant la date bienheureuse.
Le plus s?r encore est de rester na?fs et sincères, de dire simplement quelle est notre énergique volonté, au risque d'être appelés utopistes par les uns, abominables, monstrueux, par les autres. Notre idéal formel, certain, inébranlable est la destruction de l'état et de tous les obstacles qui nous séparent du but égalitaire. Ne jouons pas au plus fin avec nos ennemis. C'est en cherchant à duper que l'on devient dupe.
Telle est la morale que nous trouvons dans l'oeuvre de Nieuwenhuis. Lisez-la, vous tous que possède la passion de la vérité et qui ne la cherchez pas dans une proclamation de dictateur ni dans un programme écrit par tout un conseil de grands hommes.
élisée RECLUS.

I
LES DIVERS COURANTS
DE LA DéMOCRATIE SOCIALISTE ALLEMANDE
Au Congrès des démocrates-socialistes allemands tenu à Erfurt en 1891, une lutte s'est engagée, qui intéresse au plus haut degré le mouvement socialiste du monde entier, car, avec une légère nuance de terminologie, elle se reproduit identiquement entre les différentes fractions du parti socialiste.
D'un c?té (à droite) était Vollmar, l'homme que l'on s'attendait à voir sous peu se mettre à la tête des radicaux, comme, du reste, il l'avait déjà fait pressentir au Congrès de Halle. Il fit un discours qui, sous plus d'un rapport, était un véritable chef-d'oeuvre, démontrant qu'il était parfaitement en état de se défendre. De l'autre c?té il y avait Wildberger, montant à la tribune comme porte-parole de l'opposition berlinoise. Et entre eux Bebel et Liebknecht, pris entre l'enclume et le marteau, apparaissaient comme de tristes témoignages d'insexualité.
Une lecture consciencieuse du compte-rendu du Congrès--dont
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