enfant.
--Assez travaillé pour ce soir, Marie! Demain, nous nous y remettrons
de bonne heure; vois, j'ai fini mon ourlet...
La jeune fille essaya de résister. Elle trouvait une consolation dans son
travail. Mais la grand'mère l'entraînait, lui donnait une bougie.
--Couche-toi, vite.
--Et toi?
--Je te rejoins, tout de suite.
--Bonne nuit, maman Renaud.
Elle l'appelait souvent ainsi, dans leur intimité si douce! Elle avait dû
donner un nom à chacune de ses mères; car, pendant longtemps, elle
avait cru, bien réellement, qu'elle en avait deux, l'une jeune, jolie,
presque une camarade pour elle, «petite mère!» Mais cette petite mère
était morte de chagrin: elle était allée rejoindre son mari. Et il ne restait
à la jeune fille que sa seconde mère, «maman Renaud».
Quand la porte se fut refermée sur la jeune fille, la grand'mère y colla
son oreille. Elle entendit un sanglot qui éclatait avec d'autant plus de
violence qu'il avait été contenu toute la soirée. Et elle-même sentit de
grosses larmes couler sur ses joues. Et elle se mit à marcher dans la
pièce, d'un pas agité. Mais bientôt, elle ne pleurait plus. Tout à l'heure,
elle avait été attendrie par la douleur de sa chérie; en ce moment, elle
était toute à sa colère, à son indignation...
--Il l'abandonne, c'est certain!... Et pourtant, moi, si défiante, moi qui
avais peur pour elle de tous les hommes, j'avais eu confiance en ce Jean
Berthier!... Comme si mon expérience ne m'avait pas appris que tous
les hommes sont des trompeurs!.. Tous? Non, pas tous!...
Elle s'arrêtait sous le portrait d'officier, une reproduction agrandie, très
pâle, d'une ancienne photographie:
--Tu ne l'étais pas, toi, mon fils!
Elle contempla longuement ce portrait, fait à la sortie de Saint-Cyr, qui
lui montrait son fils dans son costume de sous-lieutenant. Elle le voyait
si beau, si noble, si brave!
--Ah! si tu étais encore là, toi! on n'aurait pas osé l'abandonner ainsi!...
Et moi, mon Dieu! Moi qui ai laissé s'enraciner cet amour dans son
coeur!... O mon fils, pardon!
Elle leva ses mains vers le portrait. Puis elle rangea la pièce. Et elle
regagna enfin la chambre où elles couchaient toutes les deux, où leurs
lits étaient rangés côte à côte, comme dans un dortoir, où elles avaient
été si heureuses... avant!
Les soirs précédents, Marie ne s'endormait qu'avec peine; mais, ce
soir-là, la fatigue l'emportait: les émotions l'avaient brisée; elle dormait
déjà. La vieille se dévêtit bien doucement, de peur de l'éveiller; elle
n'osa même pas l'embrasser, comme elle faisait toujours. Elle
s'agenouilla seulement devant le lit et s'approcha pour la contempler.
Les lèvres de Marie s'entr'ouvrirent bientôt et murmurèrent:
--Jean... Jean... Jean...
La vieille alors serra les poings, en murmurant:
--Le gueux! Il m'a volé son coeur!
* * * * *
Le lendemain, maman Renaud, qui cependant se levait de très bonne
heure, vit sa petite fille déjà debout, vaquant aux soins du ménage. Le
sommeil de Marie était devenu si léger qu'il suffisait des premières
lueurs du jour pour l'éveiller. Son visage était, battu, ses yeux cernés;
mais elle ne pleurait pas. Pendant toute la matinée, elle ne montra
aucune faiblesse: elle avait le courage que donne une résolution prise.
Dès le matin, en s'éveillant, elle s'était décidée à tenter une démarche
suprême. Elle voulait à tout prix sortir de l'indécision. Elles
travaillèrent activement. A midi, la commande était terminée.
--J'irai livrer, dit la grand'mère. Toi, tu te reposeras...
--Non, grand'mère; j'ai besoin de voir Mme Welher.
Vers deux heures, Marie partit, en effet, et refusa de se laisser
accompagner. Elle alla livrer sa commande, s'attarda à peine dans le
magasin de lingerie. Et, aussitôt après, elle se faisait conduire en
voiture au boulevard Saint-Michel... devant une maison meublée,
occupée par des étudiants.
Elle y était déjà venue, une seule fois, en secret, dans une cruelle
circonstance, le jour où elle avait dû avouer à son ami qu'elle portait en
son sein le fruit de leur amour. C'est, hélas! depuis ce jour qu'elle ne
l'avait plus revu! Et cependant il lui avait juré de ne l'abandonner
jamais, dans cette même chambre où elle allait l'implorer, non pas pour
elle, mais pour le pauvre petit être qui tressaillait dans ses flancs... Elle
se souvenait exactement du numéro de cette chambre, située au premier
étage; elle y monta bravement et frappa. Ne recevant pas de réponse,
elle frappa encore.
En ce moment, une voix cria d'en dessous:
--Qui demandez-vous?
Elle rougit violemment et ne répondit pas: elle avait honte de se
montrer; mais le garçon, qui avait la garde de la maison meublée,
monta vivement au premier étage.
--Qui demandez-vous? répéta-t-il brusquement.
Le personnel des hôtels du quartier Latin a généralement peu de respect
pour les femmes. Elle balbutia:
--Monsieur Jean Berthier?
Le garçon chercha un instant; il se souvenait à
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