tranquillité d'esprit. On
affirmait que le gouvernement avait enfin résolu d'en finir avec les bandits, et on ajoutait
que le général Labor allait se transporter de Nantes à Ingrande, pour diriger d'un point
plus central l'expédition qui devait purger la contrée de Coupe-et-Tranche et de sa bande.
Il advint en tout comme il avait été dit. Lorsque le général Labor arriva à Ingrande, il
apprit que depuis trois semaines le château de la Brivière était habité par une fort jolie
châtelaine.
À ce point, Meuzelin fit une pause en regardant la comtesse.
--Seulement, dit-il en traînant ses mots, seulement la gracieuse et jolie châtelaine n'était
pas madame de Méralec, attendu que la vraie comtesse, le jour même de son arrivée au
pays, avait été assassinée par les bandits de Coupe-et-Tranche, qui avaient fait disparaître
la tête de leur victime pour que rien ne pût révéler la substitution qui allait résulter de ce
meurtre.
Et Meuzelin, venant se mettre en face de celle qui l'écoutait, articula d'une voix grave:
--J'ai tenu dans mes mains la tête de la vraie comtesse de Méralec.
Le paroxysme de l'épouvante triompha du mutisme obstiné de la comtesse. Elle se dressa
debout en s'écriant:
--Vous mentez! Je suis madame de Méralec!
À ce démenti, Meuzelin opposa une moue moqueuse.
--En êtes-vous bien certaine? ricana-t-il.
--Alors, qui suis-je? fit-elle d'un ton d'arrogance.
--Ça, dit le policier en haussant les épaules, je n'en sais absolument rien.
Puis, en la regardant dans les yeux, et d'un ton sec:
--Mais, articula-t-il, ce dont je puis pleinement répondre; c'est que tu es la dernière des
misérables.
D'un geste impérieux il lui fit signe de se rasseoir en disant:
--Écoute la suite, ma fille.
Et il continua:
--Devant cette tête coupée un soupçon étrange m'était venu à l'esprit. Il devint une
certitude quand j'eus entendu l'aveu du maréchal de Monciel, un des quatre assassins de
la victime. J'acquis la preuve qu'il m'avait dit la vérité, à Angers, au bureau de poste, où
n'avait pas été inscrite, sur le livre des départs, la femme qui, à ce relai, avait pris place,
dans le coupé, à côté de l'autre voyageuse qui s'y trouvait depuis Paris.
Avec mes compagnons, je suis parti pour l'Allemagne pendant que tu trônais ici en
comtesse. Nous avons, trois semaines durant, battu le pays, relevant à la trace les
différents endroits que madame de Méralec avait successivement habités. Enfin, à Vienne,
dans une famille où elle l'avait laissé pour se rappeler au souvenir d'amis qu'elle avait
quittés, j'ai retrouvé son portrait. C'était bien le même visage que celui de la tête coupée.
La voix de Meuzelin, qui s'était émue aux dernières phrases, retrouva son accent ironique
et mordant pour reprendre:
--Tu me demandais tout à l'heure de te dire qui tu es. Je puis te répondre en partie, fausse
comtesse. Tu es l'instrument et la complice de Coupe-et-Tranche, ou, pour mieux dire, de
Cardeuc-le-Marcassin, ce métayer qui a fait assassiner sa maîtresse pour te faire endosser
son personnage. De connivence avec le maître de poste d'Angers, un affilié de la bande,
qui ne t'a pas inscrite sur son livre pour dérouter ta piste, tu es montée dans le coupé à
Angers, à côté de celle qui, tu le savais, allait bientôt mourir. L'assassinat accompli, tu
n'as eu qu'à laisser faire Cardeuc, qui, deux lieues plus loin, avec d'autres paysans de
bonne foi, attendait, au passage, la diligence qui lui amenait sa bonne maîtresse, la dame
de Méralec. Devant tous, il t'a reconnue et ces braves gens qui, dans la femme faite, ne
pouvaient se retracer la bambine partie jadis, ont cru aux transports de Cardeuc et t'ont
fait cortège jusqu'au château de la Brivière.
Et Meuzelin, regardant encore en face celle qu'il venait de démasquer, ajouta:
--Ose me démentir!
Elle haussa les épaules et d'une voix dédaigneuse:
--Puisque tu es en train d'inventer, dit-elle, il te faudrait, en même temps, imaginer le
motif de cette substitution. Ce gros drame de ton imagination manque par la base.
Le policier fit entendre son rire gouailleur.
--Diable! reprit-il, je vois, ma fille, qu'il est besoin de te mettre les points sur les i. Allons,
soit! ne parlons pas de la fortune de la défunte que, tôt ou tard, Cardeuc avait l'intention
d'accaparer... après, je suppose, t'en avoir adjugé ta part. Laissons cette fortune de côté
pour ne nous occuper que du présent, car c'est ce présent, qui le menace, que
Coupe-et-Tranche a voulu conjurer.
En promenant son regard railleur sur toute la personne de la femme, Meuzelin continua:
--Ah! il s'y entend, maître Coupe-et-Tranche, quand il s'agit d'engluer un ardent coureur
de femmes de la force du général Labor. Il sait choisir la proie à offrir aux appétits de
luxure d'un pareil fouailleur... car, ma fille, tu es une bien appétissante créature, une
magnifique Circé
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