Le roi Jean | Page 3

William Shakespeare
de Limoges le nom de famille du duc d'Autriche, qu'il nomme ainsi, Limoges, duc d'Autriche. Shakspeare l'a suivi exactement en ceci. C'est de même au duc d'Autriche qu'il attribue la mort de Richard; c'est de même le duc d'Autriche qui, dans la pièce, re?oit la mort de la main de Faulconbridge; et quant à la confusion des deux personnages, il para?t que Shakspeare ne s'en est pas fait plus de scrupule que Rowley, si l'on en peut juger par l'interpellation de Constance au duc d'Autriche dans la première scène du troisième acte, où, s'adressant à lui, elle s'écrie: ? Limoges, ? Austria! Le caractère de Faulconbridge est une de ces créations du génie de Shakspeare où se retrouve la nature de tous les temps et de tous les pays: Faulconbridge est le vrai soldat, le soldat de fortune, ne reconnaissant personnellement de devoir inflexible qu'envers le chef auquel il a dévoué sa vie et de qui il a re?u la récompense de son courage, et cependant ne demeurant étranger à aucun des sentiments sur lesquels se fondent les autres devoirs, obéissant même à ces instincts d'une rectitude naturelle toutes les fois qu'ils ne se trouvent pas en contradiction avec le voeu de soumission et de fidélité implicite auquel appartient son existence, et même sa conscience: il sera humain, généreux, il sera juste aussi souvent que ce voeu ne lui ordonnera pas l'inhumanité, l'injustice, la mauvaise foi; il juge bien les choses auxquelles il se soumet, et n'est dans l'erreur que sur la nécessité de s'y soumettre; il est habile autant que brave, et n'aliène point son jugement en renon?ant à le suivre; c'est une nature forte que les circonstances et le besoin d'employer son activité en un sens quelconque ont réduite à une infériorité morale dont une disposition plus calme et des réflexions plus approfondies sur la véritable destination des hommes l'auraient vraisemblablement préservée. Mais, avec le tort de n'avoir pas cherché assez haut les objets de sa fidélité et de son dévouement, Faulconbridge a le mérite éminent d'un dévouement et d'une fidélité inébranlables, vertus singulièrement hautes, et par le sentiment dont elles émanent, et par les grandes actions dont elles peuvent être la source. Son langage est, comme sa conduite, le résultat d'un mélange de bon sens et d'ardeur d'imagination qui enveloppe souvent la raison dans un fracas de paroles très-naturel aux hommes de la profession et du caractère de Faulconbridge; sans cesse livrés à l'ébranlement des scènes et des actions les plus violentes, ils ne peuvent trouver dans le langage ordinaire de quoi rendre les impressions dont se compose l'habitude de leur vie.
Le style général de la pièce est moins ferme et d'une couleur moins prononcée que celui de plusieurs autres tragédies du même po?te; la contexture de l'ouvrage est aussi un peu vague et faible, ce qui tient au défaut d'une idée unique qui ramène sans cesse toutes les parties à un même centre. La seule idée de ce genre qu'on puisse apercevoir dans le Roi Jean, c'est la haine de la domination étrangère l'emportant sur la haine d'une usurpation tyrannique. Pour que cette idée f?t saillante et occupat constamment l'esprit du spectateur, il faudrait qu'elle se reproduis?t partout, que tout contribuat à faire ressortir le malheur de la lutte entre ces deux sentiments; mais ce plan, un peu vaste pour un ouvrage dramatique, devenait d'ailleurs inconciliable avec la réserve que s'imposait Shakspeare sur le caractère du roi: aussi une grande partie de la pièce se passe-t-elle en discussions de peu d'intérêt, et dans le reste les événements ne sont pas assez bien amenés; les lords changent trop légèrement de parti, soit d'abord à cause de la mort d'Arthur, soit ensuite par un motif de crainte personnelle, qui ne présente pas sous un point de vue assez honorable leur retour à la cause d'Angleterre. L'emprisonnement du roi Jean n'est pas non plus préparé avec le soin que met d'ordinaire Shakspeare à fonder et à justifier la moindre circonstance de son drame: rien n'indique ce qui a pu porter le moine à une action aussi désespérée, puisqu'en ce moment Jean était réconcilié avec Rome. La tradition à laquelle Shakspeare a emprunté ce fait apocryphe attribue l'action du moine au besoin de se venger d'un mot offensant que lui avait dit le roi. On ne sait trop ce qui a pu porter Shakspeare à adopter ce conte, dont il a tiré si peu de parti: peut-être a-t-il voulu donner aux derniers moments de Jean quelque chose d'une souffrance infernale, sans avoir recours à des remords qui en effet n'eussent pas été plus d'accord avec le caractère réel de ce méprisable prince qu'avec la manière adoucie dont le po?te l'a tracé.

LE ROI JEAN
TRAGéDIE

PERSONNAGES
LE ROI JEAN. LE PRINCE HENRI son fils, depuis le roi Henri III. ARTHUR, duc de Bretagne, fils
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