était pis, tu pouvais tuer ce pauvre chien et nous priver de son secours.?
Tout en devisant, nous avancions toujours; à gauche, et près de nous, s'étendait la mer; à droite, et à une demi-heure de chemin à peu près, la cha?ne de rochers qui venait finir à notre débarcadère suivait une ligne presque parallèle à celle du rivage, et le sommet en était couvert de verdure et de grands arbres. Nous poussames plus loin; Fritz me demanda pourquoi nous allions, au péril de notre vie, chercher des hommes qui nous avaient abandonnés. Je lui rappelai le précepte du Seigneur, qui défend de répondre au mal autrement que par le bien; et j'ajoutai que d'ailleurs, en agissant ainsi, nos compagnons avaient plut?t cédé à la nécessité qu'à un mauvais vouloir. Il se tut alors, et tous deux, recueillis dans nos pensées, nous poursuiv?mes notre chemin.
Au bout de deux heures de marche environ, nous atteign?mes enfin un petit bois quelque peu éloigné de la mer. En cet endroit, nous nous arrêtames pour go?ter la fra?cheur de son ombrage, et nous nous avan?ames près d'un petit ruisseau.
Les arbres étaient touffus, le ruisseau coulait paisiblement, mille oiseaux peints des plus belles couleurs s'ébattaient autour de nous. Fritz, en pénétrant dans le bois, avait cru apercevoir des singes; l'inquiétude de Turc, ses aboiements répétés, nous confirmèrent dans cette pensée. Il se leva pour essayer de les découvrir; mais, tout en marchant, il heurta contre un corps arrondi qui faillit le faire tomber. Il le ramassa, et me l'apporta en me demandant ce que c'était, car il le prenait pour un nid d'oiseau.
?C'est une noix de coco.
--Mais n'y a-t-il pas des oiseaux qui font ainsi leur nid?
--Il est vrai; cependant je reconnais la noix de coco à cette enveloppe filandreuse. Dégageons-la, et tu trouveras la noix.?
Il obéit, et nous ouvr?mes la noix: elle ne contenait qu'une amande sèche et hors d'état d'être mangée. Fritz, tout désappointé, se récria alors contre les récits des voyageurs qui avaient fait une description si appétissante du lait contenu dans la noix, et de la crème que recouvrait l'amande. Je l'arrêtai en lui faisant remarquer que celle-ci était tombée et desséchée depuis longtemps, et que nous en trouverions probablement de meilleures. En effet, nous en rencontrames une qui, bien qu'un peu rance, ne laissa pas de nous faire beaucoup de plaisir. J'expliquai alors à Fritz comment l'amande du cocotier rompt sa coque à l'aide de trois trous où cette enveloppe est moins dure qu'en tout autre endroit. Nous continuions cependant à marcher; le chemin nous conduisit longtemps encore à travers ce bois, où nous f?mes plusieurs fois obligés de nous frayer un passage avec la hache, tant était grande la multitude de lianes qui nous barraient le chemin. Nous arrivames enfin à une clairière où les arbres nous laissèrent un plus libre accès.
Dans cette forêt la végétation était d'une beauté et d'une vigueur remarquables, et tout autour de nous s'élevaient des arbres plus curieux les uns que les autres. Fritz les regardait tous avec étonnement, et me faisait remarquer, dans son admiration, tant?t leurs fruits, tant?t leur feuillage. Il arriva bient?t près d'un nouvel arbre plus extraordinaire que les autres, et s'écria: ?Quel est donc cet arbre, mon père, dont les fruits sont attachés au tronc, au lieu de l'être aux branches? Je vais en cueillir.? J'approchai, et je reconnus avec joie des calebassiers tout chargés de leurs fruits. Fritz, remarquant ce mouvement, me demanda si c'est bon à manger, et à quoi c'est utile.
?Cet arbre, lui dis-je, est un des plus précieux que produisent ces climats, et les sauvages y trouvent en même temps leur nourriture et les ustensiles pour la faire cuire. Son fruit est assez estimé parmi eux, mais les Européens n'en font aucun cas; ils en trouvent la chair fade et coriace, et la laissent pour se servir de l'écorce, qui se fa?onne de mille manières.? Je lui expliquai comment les sauvages, en divisant cette écorce, savent en faire des assiettes, des cuillers et même des vases pour faire bouillir de l'eau. à ces mots il m'arrêta, et me demanda si cette écorce est incombustible, pour résister à l'action du feu.
?Non, lui répondis-je; mais les sauvages n'ont pas besoin de feu; ils font rougir des cailloux et les jettent dans l'eau, que ce manège échauffe bient?t jusqu'à l'ébullition. Fritz me pria alors d'essayer de faire quelque ustensile pour sa mère. J'y consentis, et je lui demandai s'il portait de la ficelle sur lui, pour partager les calebasses; il me dit qu'il en avait un paquet dans sa gibecière, mais qu'il aimait mieux se servir de son couteau. ?Essaie, lui dis-je, et voyons qui de nous deux réussira le mieux.?
Fritz jeta bient?t loin de lui, avec humeur, la calebasse qu'il avait prise, et qu'il avait entièrement gatée, parce
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