surnage cette conclusion, qui est l'abrégé du système: toute proposition instructive ou féconde vient d'une expérience, et n'est qu'une liaison de faits.
VII
Il suit de là que l'induction est la seule clef de la nature. Cette théorie est le chef d'oeuvre de Mill. Il n'y avait qu'un partisan aussi dévoué de l'expérience qui p?t faire la théorie de l'induction.
Qu'est-ce que l'induction? C'est l'opération ?qui découvre et prouve des propositions générales. C'est le procédé par lequel nous concluons que ce qui est vrai de certains individus d'une classe est vrai de toute la classe, ou que ce qui est vrai en certains temps, sera vrai en tout temps, les circonstances étant pareilles.?[14] C'est le raisonnement par lequel, ayant remarqué que Pierre, Jean et un nombre plus ou moins grand d'hommes sont morts, nous concluons que tout homme mourra. Bref, l'induction lie la mortalité et la qualité d'homme, c'est-à-dire deux faits généraux ordinairement successifs, et déclare que le premier est la cause du second.
Cela revient à dire que le cours de la nature est uniforme. Mais l'induction ne part pas de cet axiome, elle y conduit; nous ne la trouvons pas au commencement, mais à la fin de nos recherches.[15] Au fond l'expérience ne présuppose rien hors d'elle-même. Nul principe à priori ne vient l'autoriser ni la guider. Nous remarquons que cette pierre est tombée, que ce charbon rouge nous a br?lés, que cet homme est mort, et nous n'avons d'autre ressource pour induire que l'addition et la comparaison de ces petits faits isolés et momentanés. Nous apprenons par la simple pratique que le soleil éclaire, que les corps tombent, que l'eau apaise la soif, et nous n'avons d'autre ressource pour étendre ou contr?ler ces inductions que d'autres inductions semblables. Chaque remarque, comme chaque induction, tire sa valeur d'elle-même et de ses voisines. C'est toujours l'expérience qui juge l'expérience, et l'induction qui juge l'induction.
Le corps de nos vérités n'a point une ame différente de lui-même, qui lui communique la vie; il subsiste par l'harmonie de toutes ses parties prises ensemble et par la vitalité de chacune de ses parties prises à part. Vous refuseriez de croire un voyageur qui vous dirait qu'il y a des hommes dont la tète est au-dessous des épaules. Vous ne refuseriez pas de croire un voyageur qui vous dirait qu'il y a des cygnes noirs. Et cependant votre expérience de la chose est la même dans les deux cas; vous n'avez jamais vu que des cygnes blancs, comme vous n'avez jamais vu que des hommes ayant la tête au-dessus des épaules. D'où vient donc que le second témoignage vous para?t plus croyable que le premier? ?Apparemment, parce qu'il y a moins de constance dans la couleur des animaux que dans la structure générale de leurs parties anatomiques. Mais comment savez-vous cela? évidemment par l'expérience.[16] Il est donc vrai que nous avons besoin de l'expérience pour nous apprendre à quel degré, dans quels cas, dans quelles sortes de cas, nous pouvons nous fier à l'expérience. L'expérience doit être consultée pour apprendre d'elle dans quelles circonstances les arguments qu'on tire d'elle sont solides. Nous n'avons point une seconde pierre de touche d'après laquelle nous puissions vérifier l'expérience; nous faisons de l'expérience la pierre de touche de l'expérience.? Il n'y a qu'elle et elle est partout.
Considérons donc comment sans autre secours que le sien nous pouvons former des propositions générales, particulièrement les plus nombreuses et les plus importantes de toutes, celles qui joignent deux événements successifs en disant que le premier est la cause du second.
Il y a là un grand mot, celui de cause. Pesez-le. Il porte dans son sein toute une philosophie. De l'idée que vous y attachez, dépend toute votre idée de la nature. Renouveler la notion de cause, c'est transformer la pensée humaine; et vous allez voir comment Mill, avec Hume et M. Comte, mais mieux que Hume et M. Comte, a transformé cette notion.
Qu'est-ce qu'une cause? Quand Mill dit que le contact du fer et de l'air humide produit la rouille, ou que la chaleur dilate les corps, il ne parle pas du lien mystérieux par lequel les métaphysiciens attachent la cause à l'effet. Il ne s'occupe pas de la force intime et de la vertu génératrice que certaines philosophies insèrent entre le producteur et le produit. ?La seule notion, dit-il[17], dont l'induction ait besoin à cet égard peut être donnée par l'expérience. Nous apprenons par l'expérience qu'il y a dans la nature un ordre de succession invariable, et que chaque fait y est toujours précédé par un autre fait. Nous appelons cause l'antécédent invariable, effet le _conséquent invariable_.?[18] Au fond, nous ne mettons rien d'autre sous ces deux mots. Nous voulons dire simplement que toujours, partout, le contact du fer et de l'air humide sera suivi par l'apparition de la rouille, l'application de la chaleur
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