Le nain noir | Page 9

Sir Walter Scott
là); et, prenant la chandelle des mains d'une des coquettes villageoises qui la tenait en minaudant, il introduisit son h?te dans le parloir de la famille, ou plut?t dans la grand'salle; car, le batiment ayant été jadis une habitation fortifiée, la pièce ou l'on se rassemblait était une chambre vo?tée et, pavée, humide et sombre sans doute, comparée aux logements de fermes de nos jours; mais éclairée par un bon feu de tourbe, elle partit à Earnscliff infiniment préférable aux montagnes froides et arides qu'il venait de parcourir. La vénérable ma?tresse de la maison, où la fermière, coiffée avec l'ancien pinner (coiffe des matrones d'écosse), vêtue d'une simple robe serrée, d'une laine filée par elle-même, niais portant aussi un large collier d'or et des boucles d'oreilles, était assise au coin de la cheminée, dans son fauteuil d'osier, dirigeant les occupations des jeunes filles et de deux ou trois servantes qui travaillaient à leurs quenouilles derrière leurs ma?tresses.
Après avoir fait bon accueil à Earnscliff, et donné tout bas quelques ordres pour faire une addition au souper ordinaire de la famille, la vieille grand'mère et les soeurs d'Hobby commencèrent leur attaque, qui n'avait été que différée.
--Jenny n'avait pas besoin d'apprêter un si grand feu de cuisine pour ce qu'Hobby a rapporté, dit une des soeurs.
--Non sans doute, dit une autre, la, poussière de la tourbe, bien soufflée, aurait suffi pour r?tir tout le gibier de notre Hobby.
--Oui, ou le bout de chandelle, si le vent ne l'éteignait pas, dit la troisième. Ma foi, si j'étais que de lui j'aurais rapporté un corbeau plut?t que de revenir trois fois sans la corne d'un daim pour en faire un cornet.
Hobby les regardait alternativement en fron?ant le sourcil, dont l'augure sinistre était démenti par le sourire de bonne humeur qui se dessinait sur ses lèvres. Il chercha à les adoucir cependant, en annon?ant le présent qu'Earnscliff avait promis.
--Dans ma jeunesse, dit la vieille mère, un homme aurait été honteux de sortir une heure avec son fusil, sans rapporter au moins un daim de chaque c?té de son cheval, comme un coquetier portant des veaux au marché.
--C'est pour cela qu'il n'en reste plus, dit Hobby; je voudrais que vos vieux amis nous en eussent laissé quelques-uns.
--Il y a pourtant des gens qui savent encore trouver du gibier, dit la soeur a?née en jetant un coup d'oeil sur Earnscliff,
--Hé bien! hé bien! femme, chaque chien n'a-t-il pas son jour! Que Earnscliff me pardonne ce vieux proverbe; il a eu du bonheur aujourd'hui, une autre fois ce sera mon tour. N'est-il pas bien agréable, après avoir couru les montagnes toute la journée, d'avoir à tenir tête à une demi douzaine de femmes qui n'ont rien eu à faire que de remuer par-ci par-là leur aiguille ou leur fuseau, surtout quand, en revenant à la maison, on a été effrayé... non, ce n'est pas cela, surpris par des esprits?
--Effrayé par des esprits! s'écrièrent toutes les femmes à la fois; car grand était le respect qu'on portait et qu'on porte peut-être encore dans ces cantons à ces superstitions populaires.
--Effrayé! non: c'est surpris que je voulais dire. Et après tout, il n'y en avait qu'un; n'est-il pas vrai, monsieur Earnscliff? vous l'avez vu comme moi.
Et il se mit à raconter en détail, à sa manière, mais sans trop d'exagération, ce qui leur était arrivé à Mucklestane-Moor, en disant, pour conclure, qu'il ne pouvait conjecturer ce que ce pouvait être, à moins que ce ne f?t ou l'ennemi des hommes en personne, ou un des vieux Peghts (sans doute les Pictes, que le peuple en écosse croit avoir été des êtres surnaturels) qui habitaient le pays au temps jadis.
--Vieux Peght! s'écria la grand'mère, non, non, Dieu te préserve de tout mal, mon enfant; ce n'est pas un Peght que cela.--C'est l'homme brun des marécages (sans doute de la famille des Brownies). O maudits temps que ceux où nous vivons! Qu'est-ce qui va donc arriver à ce malheureux pays, maintenant qu'il est paisible et soumis aux lois? Jamais il ne para?t que pour annoncer quelque désastre. Feu mon père m'a dit qu'il avait fait une apparition l'année de la bataille de Marston-Moor, une autre fois du temps de Montrose, et une autre la veille de la déroute de Dunbar. De mon temps même, on l'a vu deux heures avant le combat du pont de Bothwell; et on dit encore que le laird de Benarbuck, qui avait le don de seconde vue, s'entretint avec lui quelque temps avant le débarquement du duc d'Argyle, mais je ne sais pas comment cela eut lieu. C'était dans l'ouest, loin d'ici. Oh! mes enfants, il ne revient jamais qu'en des temps de malheurs; gardez-vous bien d'aller le trouver!
Earnscliff prit la parole, en lui disant qu'il était convaincu que l'être qu'ils avaient vu était un malheureux privé de raison,
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