Le nain noir | Page 7

Sir Walter Scott
comme pour mettre le vent contre un daim.
--On n'a de l'eau que jusqu'aux genoux dans la fondrière, et il vaut mieux mauvaise route que mauvaise compagnie.
Malgré ces remontrances, Earnscliff continuait à avancer, et Hobby le suivait malgré lui. Ils se trouvèrent enfin à dix pas de l'objet qu'ils cherchaient à reconna?tre. Plus ils en approchaient, plus il leur paraissait décro?tre, autant que l'obscurité leur permettait de le distinguer. C'était un homme dont la taille n'excédait pas quatre pieds; mais il était presque aussi large que haut, ou plut?t d'une forme sphérique, qui ne pouvait être due qu'à une étrange difformité. Le jeune chasseur appela deux fois cet être extraordinaire sans en recevoir de réponse, et sans faire attention aux efforts que son compagnon faisait continuellement pour l'entra?ner d'un autre c?té, plut?t que de troubler davantage une créature si singulière:--Qui êtes-vous? Que faites-vous ici à cette heure de la nuit? demanda-t-il une troisième fois. Une voix aigre et discordante répondit enfin: --Passez votre chemin, ne demandez rien à qui ne vous demande rien. Et ces mots, qui firent reculer Elliot à deux pas, firent même tressaillir son compagnon.
--Mais pourquoi êtes-vous si loin de toute habitation? dit Earnscliff. êtes-vous égaré? suivez-moi, je vous donnerai un logement pour la nuit.
--A Dieu ne plaise! s'écria Hobby involontairement.
J'aimerais mieux loger tout seul dans le fond du gouffre de Tarrass Flow, ajouta-t-il plus bas.
--Passez votre chemin, répéta cet être extraordinaire d'un ton de colère: je n'ai besoin ni de vous ni de votre logement. Il y a cinq ans que ma tête n'a reposé dans l'habitation des hommes; et j'espère qu'elle n'y reposera plus.
--C'est un homme qui a perdu l'esprit, dit Earnscliff.
--Ma foi, dit son superstitieux compagnon, il a quelque chose du vieux Humphry Ettercap, qui périt ici près, il y a justement cinq ans. Mais ce n'est pas là le corps ni la taille d'Humphry.
--Passez votre chemin, répéta l'objet de leur curiosité. L'haleine des hommes empoisonne l'air qui m'entoure. Le son de vos voix me perce le coeur.
--Bon Dieu! dit hobby, faut-il que les morts soient tellement enragés contre les vivants? Sa pauvre ame est s?rement dans la peine.
--Venez avec moi, mon ami, dit Earnscliff, vous paraissez éprouver quelque grande affliction; l'humanité ne me permet pas de vous abandonner ici.
--L'humanité! s'écria le Nain en poussant un éclat de rire ironique, qu'est-ce que ce mot? Vrai lacet de bécasse.--Moyen de cacher les trappes à prendre les hommes.--Appat qui couvre un hame?on plus piquant dix fois que ceux dont vous vous servez pour tromper les animaux dont votre gourmandise médite le meurtre.
--Je vous dis, mon bon ami, reprit Earnscliff, que vous ne pouvez juger de votre situation. Vous périrez dans cet endroit désert. Il faut, par compassion pour vous, que nous vous forcions à nous suivre.
--Je n'y toucherai pas du bout du doigt! dit Hobby. Pour l'amour de Dieu! laissez l'esprit agir comme il lui pla?t.
--Si je péris ici, dit le Nain, que mon sang retombe sur ma tête! mais vous aurez à vous accuser de votre mort, si vous osez souiller mes vêtements du contact d'une main d'homme.
La lune parut en ce moment avec une clarté plus pure, et Earnscliff vit que cet être singulier tenait eu main quelque chose qui brilla comme la lame d'un poignard ou le canon d'un pistolet. C'e?t été une folie de vouloir s'emparer d'un homme ainsi armé, et qui paraissait déterminé à se défendre. Earnscliff voyait d'ailleurs qu'il n'avait aucun secours à attendre de son compagnon, qui avait déjà reculé de quelques pas, et qui semblait décidé à le laisser s'arranger avec l'esprit comme il l'entendrait. Il rejoignit donc Hobby, et ils continuèrent leur route. Ils se retournèrent cependant plus d'une fois pour regarder cette espèce de maniaque, qui continuait le même manège autour de la colonne, et qui semblait les poursuivre par des imprécations qu'on ne pouvait comprendre, mais que sa voix aigre fit retentir au loin dans cette plaine déserte.
Nos deux chasseurs firent d'abord, chacun de leur c?té, leurs réflexions en silence. Lorsqu'ils furent assez éloignés du Nain pour ne plus le voir ni l'entendre, Hobby, reprenant courage, dit à son compagnon:--Je vous garantis qu'il faut que cet esprit, si c'est un esprit, ait fait ou ait souffert bien du mal quand il était dans son corps, pour qu'il revienne ainsi après qu'il est mort et enterré.
--Je crois que c'est un fou misanthrope, dit Earnscliff.
--Vous ne croyez donc pas que ce soit un être surnaturel?
--Moi? non, en vérité!
--Hé bien! je suis presque d'avis moi-même que ce pourrait bien être un homme véritable. Cependant je n'en jurerais point. Je n'ai jamais rien vu qui ressemblat si bien à un esprit.
--Quoi qu'il en soit, je reviendrai ici demain. Je veux voir ce que sera devenu ce malheureux.
--En plein jour!... alors, s'il pla?t à Dieu, je vous accompagnerai. Mais nous sommes
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