suis n��e sous un pont, dans un coup de vent, que j'ai toujours aim�� les natures pos��es, raisonnables.
--Oh! ma fille, qu'est-ce que tu vas faire croire �� M. Paul, que tu es n��e sous un pont?... disait la bonne Crenmitz, qui ne pouvait se faire �� l'exag��ration de certaines images et prenait tout au pied de la lettre.
--Laisse-le croire ce qu'il voudra, ma f��e... Nous ne le visons pas pour mari... Je suis s?re qu'il ne voudrait pas de ce monstre qu'on appelle une femme artiste. Il croirait ��pouser le diable... Vous avez bien raison, Minerve... L'art est un despote. Il faut se donner �� lui tout entier. On met dans son oeuvre ce qu'on a d'id��al, d'��nergie, d'honn��tet��, de conscience, si bien qu'il ne vous en reste plus pour la vie, et que le travail termin�� vous jette l�� sans force et sans boussole comme un ponton d��mat�� �� la merci de tous les flots... Triste acquisition qu'une ��pouse pareille.
--Pourtant, hasarda timidement le jeune homme, il me semble que l'art, si exigeant qu'il soit, ne peut pas accaparer la femme �� lui tout seul. Que ferait-elle de ses tendresses, de ce besoin d'aimer, de se d��vouer, qui est en elle bien plus qu'en nous le mobile de tous ses actes??
Elle r��va un moment avant de r��pondre.
?Vous avez peut-��tre raison, sage Minerve... Le fait est qu'il y a des jours o�� ma vie sonne terriblement creux... J'y sens des trous, des profondeurs. Tout dispara?t de ce que j'y jette pour la combler... Mes plus beaux enthousiasmes artistiques s'engouffrent l��-dedans et meurent chaque fois dans un soupir... Alors je pense au mariage. Un mari, des enfants, un tas d'enfants qui se rouleraient par l'atelier, le nid �� soigner pour tout cela, la satisfaction de cette activit�� physique qui manque �� nos existences d'art, des occupations r��guli��res, du train, des chants, des gaiet��s na?ves, qui vous forceraient �� jouer au lieu de penser dans le vide, dans le noir, �� rire devant un ��chec d'amour-propre, �� n'��tre qu'une m��re satisfaite, le jour o�� le public ferait de vous une artiste us��e, finie...?
Et devant cette vision de tendresse la beaut�� de la jeune fille prit une expression que Paul ne lui avait jamais vue, qui le saisit tout entier, lui donna une envie folle d'emporter dans ses bras ce bel oiseau sauvage r��vant du colombier, pour le d��fendre, l'abriter dans l'amour s?r d'un honn��te homme.
Elle, sans le regarder, continuait:
?Je ne suis pas si envol��e que j'en ai l'air, allez... Demandez �� ma bonne marraine, quand elle m'a mise en pension, si je ne me tenais pas droite �� l'alignement... Mais quel gachis ensuite dans ma vie... Si vous saviez quelle jeunesse j'ai eue, quelle pr��coce exp��rience m'a fan�� l'esprit, quelle confusion dans mon jugement de petite fille du permis et du d��fendu, de la raison et de la folie. L'art seul, c��l��br��, discut��, restait debout dans tout cela, et je me suis r��fugi��e en lui... C'est peut-��tre pourquoi je ne serai jamais qu'une artiste, une femme en dehors des autres, une pauvre amazone au coeur prisonnier dans sa cuirasse de fer, lanc��e dans le combat comme un homme et condamn��e �� vivre et �� mourir en homme.?
Pourquoi ne lui dit-il pas alors:
?Belle guerri��re, laissez l�� vos armes, rev��tez la robe flottante et les graces du gyn��c��e. Je vous aime, je vous supplie, ��pousez-moi pour ��tre heureuse et pour me rendre heureux aussi.
Ah! voil��. Il avait peur que l'autre, vous savez bien, celui qui devait venir d?ner ce soir et qui restait entre eux malgr�� l'absence, l'entend?t parler ainsi et f?t en droit de le railler ou de le plaindre pour ce bel ��lan.
?En tout cas, je jure bien une chose, reprit-elle, c'est que si jamais j'ai une fille, je tacherai d'en faire une vraie femme et non pas une pauvre abandonn��e comme je suis... Oh! tu sais, ma f��e, ce n'est pas pour toi que je dis cela... Tu as toujours ��t�� bonne avec ton d��mon, pleine de soins et de tendresses... Mais regardez-la donc comme elle est jolie, comme elle a l'air jeune ce soir.?
Anim��e par le repas, les lumi��res, une de ces toilettes blanches dont le reflet efface les rides, la Crenmitz renvers��e sur sa chaise tenait �� la hauteur de ses yeux mi-clos un verre de Chateau-Yquem venu de la cave du Moulin-Rouge leur voisin; et sa petite frimousse rose, ses atours flottants de pastel refl��t��s dans le vin dor��, qui leur pr��tait son ardeur piquante, rappelaient l'ancienne h��ro?ne des soupers fins �� la sortie du th��atre, la Crenmitz du bon temps, non pas audacieuse �� la fa?on des ��toiles de notre op��ra moderne, mais inconsciente et roul��e dans son luxe comme une perle fine dans la nacre de sa coquille. F��licia, qui d��cid��ment ce soir-l�� voulait plaire �� tout
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