de Cormatin. Le troisième, M. de Chantereau. Le quatrième, l'homme au panache et au mouchoir, était le marquis de Jausset, récemment arrivé de l'émigration, et qui n'avait encore pris aucune part aux affaires actives. Il était envoyé par le comte de Provence. Enfin, en dernier venait Marcof, dont l'oeil intelligent échangeait souvent avec celui de Boishardy de nombreux signes qui échappaient à leurs interlocuteurs.
La conférence touchait à son terme. MM. de Cormatin et de Chantereau venaient de se lever. Boishardy leur remit à chacun une feuille de papier sur laquelle se lisaient des caractères d'impression.
--N'oubliez pas, leur dit-il, de faire placarder ce décret partout, c'est un puissant auxiliaire pour notre cause.
--Quel décret, mon très cher? demanda le marquis d'une voix grêle et avec un accent tra?nard qui contrastait étrangement avec la voix rude et le ton ferme et impératif de Boishardy.
--Le décret de la Convention, dont je vous parlais tout à l'heure.
--Vous plairait-il de le relire?
--Volontiers.
Boishardy ouvrit l'une des feuilles.
--Décret du 31 juillet 1793, dit-il.
--Mais, interrompit Marcof, si ce décret a quatre mois de date, il doit être connu de tous.
--Non pas, capitaine. Ce décret porte la date du 31 juillet, mais il para?t qu'il est resté longtemps en carton à Paris, car il n'est arrivé ici et n'a été placardé qu'il y a quinze jours.
--Continuez alors.
Boishardy reprit:
--Je vous fais grace des considérants, messieurs. Il y en a deux pages, dans lesquels ces bandits assassins de la Convention nous traitent de brigands, d'aristocrates; j'en arrive aux arrêtés, les voici:
Arrêtons et décrétons ce qui suit:
?1o Tous les bois, taillis et genêts de la Vendée et de la Bretagne seront livrés aux flammes;
?2o Les forêts seront rasées;
?3o Les récoltes coupées et portées sur les derrières de l'armée;
?4o Les bestiaux saisis;
?5o Les femmes et les enfants enlevés et conduits dans l'intérieur;
?6o Les biens des royalistes confisqués pour indemniser les patriotes réfugiés;
?7o Au premier coup du tocsin, tous les hommes, sans distinction, depuis seize ans jusqu'à soixante, devront prendre les armes dans les districts limitrophes, sous peine d'être déclarés tra?tres à la patrie et traités comme tels par tous les bons patriotes.?
Boishardy jeta le papier sur la table.
--Qu'en pensez-vous, messieurs? demanda-t-il; la Convention pouvait-elle mieux agir, et nos gars, en lisant ou en écoutant les termes de ces articles, ne se défendront-ils pas jusqu'à la mort?
--Sans doute! répondit Cormatin.
--Permettez, fit le marquis en s'éventant gracieusement avec son mouchoir. Tout cela est bel et bon, mais ce n'est pas suffisant. Il faut écraser la République et remettre sur le tr?ne nos princes légitimes.
--C'est ce à quoi nous tachons, monsieur, dit Chantereau.
--Et vous n'y parviendrez qu'en suivant une autre marche.
--Laquelle? demanda Boishardy en souriant ironiquement.
--Il faut d'abord élire des chefs.
--Nous en avons.
--Mais j'entends par chefs des hommes de naissance.
--Douteriez-vous de la mienne?
--Dieu m'en garde, monsieur de Boishardy! Seulement, vous reconna?trez qu'il y a en France des noms au-dessus du v?tre.
--Où sont-ils, ceux-là?
--A l'étranger.
--Eh bien, qu'ils y restent!
--Sans eux vous ne ferez rien de bon, cependant.
--Qu'ils viennent, alors! s'écria Marcof en frappant sur la table.
--Ils viendront, messieurs, ils viendront!
--Quand il n'y aura plus rien à faire, n'est-ce pas, monsieur le marquis?
--Vous prenez d'étranges libertés, mon cher.
--Marcof a raison, interrompit Boishardy. Nous commen?ons à être fatigués de cette émigration qui ne fait rien, qui parle sans cesse, et qui, lorsque nous aurons prodigué notre sang pour rétablir la monarchie, viendra, sans nous honorer d'un regard, reprendre les places qu'elle dira lui appartenir! Morbleu! qu'elle les garde donc ces places, ou tout au moins qu'elle les défende! Pourquoi a-t-elle pris la fuite, cette émigration qui doit tout abattre? Est-ce le devoir d'un gentilhomme d'abandonner son roi lorsque le danger menace? Répondez, monsieur le marquis! Vous prétendez que les émigrés veulent venir en Bretagne. Qui les en empêche? qui s'oppose à leur venue parmi nous? qui les retient de l'autre c?té du Rhin, où il n'y a rien à faire? Pourquoi ces retards? Est-ce d'aujourd'hui, d'ailleurs, qu'ils devraient songer à combattre dans nos rangs et à donner leur sang comme nous avons donné le n?tre? Leur place n'est-elle pas auprès de nous? Encore une fois, monsieur, répondez!
Boishardy s'arrêta. Cormatin et Chantereau approuvaient tacitement. Marcof reprit la parole sans laisser le temps au marquis d'articuler un mot.
--Quand monsieur de Jausset a parlé d'hommes de naissance pour commander, dit-il, il a dirigé ses regards vers moi.
--Après?... fit dédaigneusement le marquis.
--Je lui demanderai donc ce qu'il avait l'intention de dire.
--C'est fort simple. Il y a ici une confusion de rangs incroyable, vous avez obéi à un Cathelineau. Vous avez pour chefs des gens nés pour pourrir dans les grades inférieurs.
--Comme moi, n'est-ce pas?
--Comme vous, mon cher.
Marcof palit. Boishardy voulut s'interposer, le marin l'arrêta.
--Ne craignez rien, dit-il; je traite les hommes suivant leur valeur, et je ne me fache que contre les gens qui en valent la peine.
Puis, se tournant vers le marquis:
--Monsieur, continua-t-il,
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