Le magasin dantiquités, Tome II | Page 9

Charles Dickens
temps de retourner au logis. Ainsi, après s'être un peu écartés de leur chemin pour conduire Barbe et sa mère jusqu'à la maison d'un ami chez qui elles devaient passer la nuit, Kit et mistress Nubbles les laissèrent à leur porte en se promettant de retourner ensemble à Finchley le lendemain matin de bonne heure et en échangeant bien des projets pour les plaisirs de la future sortie. Alors Kit prit sur son dos le petit Jacob, donna son bras à sa mère, un baiser au poupon, et tous quatre se mirent à trotter gaiement pour regagner leur domicile.

CHAPITRE III.
Plein de cette espèce d'ennui vague qui s'éveille d'ordinaire le lendemain des jours de fête, Kit se leva dès l'aurore et, un peu dégrisé des plaisirs de la soirée précédente par l'importune fra?cheur de la matinée et la nécessité de reprendre son service et ses travaux journaliers, il songea à aller chercher au rendez- vous convenu avec Barbe et sa mère. Mais il eut soin de ne point éveiller sa petite famille qui dormait encore, se reposant de ses fatigues inaccoutumées: aussi posa-t-il son argent sur la cheminée en tra?ant à la craie un avis pour appeler sur ce sujet l'attention de mistress Nubbles et lui apprendre que cet argent provenait de son fils dévoué; puis il sortit, le coeur un peu plus lourd que les poches, mais malgré cela sans trop d'accablement.
Oh! les jours de fête! pourquoi nous laissent-ils un regret? Pourquoi ne nous est-il pas permis de les refouler dans notre mémoire, ne f?t-ce qu'une semaine ou deux, pour pouvoir en quelque sorte les mettre à la distance convenable où nous ne les verrions plus qu'avec une indifférence calme ou bien avec un doux souvenir? Pourquoi nous laissent-ils un arrière-go?t, comme le vin de la veille nous laisse le mal de tête et la fatigue, avec une foule de bonnes résolutions pour l'avenir qui devraient être éternelles, mais qui ne durent guère que jusqu'au lendemain exclusivement.
Nul n'aura lieu de s'étonner si nous disons que Barbe avait mal à la tête, ou que la mère de Barbe ressentit de la lassitude; qu'elle n'était plus tout à fait aussi enthousiaste du théatre d'Astley et trouvait que le clown devait être décidément plus vieux qu'il ne leur avait paru la veille. Kit ne fut pas du tout surpris de ces critiques; lui-même, il se disait tout bas que les acteurs de ce spectacle éblouissant n'étaient que des baladins qui avaient déjà rempli le même r?le l'avant-veille, et qu'ils le rempliraient encore ce soir et demain, et bien des semaines et des mois devant d'autres spectateurs. Voilà la différence du jour au lendemain. Nous allons tous à la comédie ou nous en revenons.
Cependant on sait que le soleil n'a que de faibles rayons lorsqu'il se lève et qu'il acquiert de la force et de l'énergie à mesure que le jour se développe. Ainsi par degrés les trois compagnons de route commencèrent à se rappeler diverses circonstances des plus agréables jusqu'à ce que, moitié causant, moitié marchant et riant, ils arrivèrent à Finchley en si bonnes dispositions que la mère de Barbe déclara ne s'être jamais trouvée moins fatiguée ni en meilleur état d'esprit, et que Kit en fit autant. Barbe, qui s'était tue durant toute la route, fit la même déclaration. Pauvre petite Barbe! Elle était si douce et si gentille!
Il était de si bonne heure quand ils rentrèrent à la maison, que Kit avait étrillé le poney et l'avait rendu aussi brillant qu'un cheval de course avant que M. Garland f?t descendu pour déjeuner. La vieille dame, le vieux monsieur et M. Abel lui firent hautement compliment de son exactitude et de son activité. à son heure accoutumée, ou plut?t à la minute, à la seconde, car il était la ponctualité en personne, M. Abel partit pour prendre la diligence de Londres, et Kit et le vieux gentleman allèrent travailler au jardin.
Ce n'était pas la moins agréable des fonctions de Kit; car lorsqu'il faisait beau, ils étaient absolument en famille: la vieille dame s'installait auprès d'eux avec son panier à travail posé sur une petite table; le vieux gentleman bêchait, émondait, taillait avec une grande paire de ciseaux, ou aidait Kit avec beaucoup d'activité à diverses besognes; et Whisker, du fond du parc où il paissait, les regardait tous paisiblement. Ce jour-là, ils avaient à tailler la vigne en cordons: Kit monta jusqu'à la moitié d'une échelle courte et se mit à couper les bourgeons et à attacher les branches, à coups de marteau, tandis que le vieux gentleman, suivant avec attention tous ses mouvements, lui tendait les clous et les chiffons au fur et à mesure qu'il en avait besoin. La vieille dame et Whisker les regardaient comme à l'ordinaire.
?Eh bien, Christophe, dit M. Garland, vous avez donc acquis un nouvel
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