parlé à Barbe plus de mille fois déjà. Mais cette circonstance fut loin d'exciter chez les assistants l'intérêt que Kit avait supposé. Sa mère dit même, en regardant Barbe en même temps, par hasard sans doute, que miss Nell était assurément fort jolie, mais que ce n'était qu'une enfant, après tout, et qu'il y avait bien des jeunes femmes aussi jolies qu'elle; Barbe, de son c?té, fit observer doucement qu'elle pensait de même et qu'elle ne pouvait s'empêcher de croire que M. Christophe f?t dans l'erreur; assertion contre laquelle Kit se récria, ne concevant pas quelle raison elle avait de douter de ce qu'il disait. La mère de Barbe dit aussi qu'on voyait souvent une jeunesse changer vers quatorze ou quinze ans, et après avoir été d'abord très-belle, devenir tout à coup très-ordinaire; vérité qu'elle appuya d'exemples mémorables. Elle cita entre autres un ma?on de grande espérance, qui même avait eu pour Barbe des attentions suivies, mais Barbe n'y avait pas répondu, et vraiment, quoiqu'elle ne voul?t pas la contrarier là-dessus, elle ne pouvait pas s'empêcher de dire que c'était dommage. Kit fut de l'avis de la mère, et il le disait sincèrement, s'étonnant de voir Barbe devenir toute sérieuse depuis ce temps-là, et le regarder comme pour lui dire qu'il aurait aussi bien fait de se taire.
Cependant l'heure était arrivée de songer au spectacle, pour lequel on avait fait de grands préparatifs en chales et chapeaux, sans compter un mouchoir plein d'oranges et un autre rempli de pommes qu'ils eurent quelque peine à nouer, car ces fruits rebelles avaient une tendance à s'échapper par les coins. Enfin, tout étant prêt, ils partirent d'un bon pas. La mère de Kit tenait à la main le plus petit des enfants qui était terriblement éveillé; Kit conduisait le petit Jacob et donnait le bras à Barbe; ce qui faisait dire aux deux mères qui venaient par derrière qu'ils semblaient tous ne faire qu'une seule et même famille. Barbe rougit et s'écria: ?Finissez donc, maman.? Mais Kit lui dit qu'elle ne devait pas se mêler de ce que disaient ces dames; et en vérité elle e?t aussi bien fait de ne pas y prendre garde, si elle e?t su combien il était loin de songer à lui faire la cour. Pauvre Barbe!
Enfin, ils arrivèrent au théatre; c'était le cirque d'Astley. à peine se trouvaient-ils depuis deux minutes devant la porte fermée encore, que le petit Jacob fut rudement pressé, que le poupon re?ut plusieurs meurtrissures, que le parapluie de la mère de Barbe fut emporté à vingt pas et lui revint par-dessus les épaules de la foule, que Kit frappa un individu sur la tête avec le mouchoir rempli de pommes, pour avoir poussé violemment sa mère, et qu'il s'éleva à ce sujet une vive rumeur. Mais lorsqu'ils eurent passé le contr?le et se furent frayé un chemin, au péril de leur vie, avec leurs contre-marques à la main; lorsqu'ils furent bel et bien dans la salle, assis à des places aussi bonnes que s'ils les eussent retenues d'avance, toutes les fatigues précédentes furent considérées comme un jeu, peut-être même comme une partie essentielle des plaisirs du spectacle.
Mon Dieu! mon Dieu! qu'il leur parut beau, ce théatre d'Astley! avec ses peintures, ses dorures, ses glaces, avec la vague odeur de chevaux qui faisait pressentir les merveilles dont on allait jouir; avec le rideau qui cachait de si prodigieux mystères, la sciure de bois blanc fra?chement semée dans le cirque, la foule entrant et prenant ses places, les musiciens qui regardaient les spectateurs avec indifférence tout en accordant leurs instruments, comme s'ils n'avaient pas besoin de voir le spectacle pour commencer et comme s'ils savaient la pièce par coeur! Quel éclat se répandit partout autour d'eux lorsque la longue et lumineuse rangée des quinquets de la rampe monta lentement! et quel transport fébrile quand la petite sonnette retentit et que l'orchestre attaqua vivement l'ouverture avec roulement de tambours et accompagnement harmonieux de triangle! La mère de Barbe dit avec raison à la mère de Kit que la galerie était le meilleur endroit pour bien voir, et s'étonna de ce que les places n'y co?taient pas beaucoup plus cher que celles des loges. Dans l'excès de son plaisir, Barbe ne savait si elle devait rire ou pleurer.
Et le spectacle donc, ce fut bien autre chose! Les chevaux, que le petit Jacob reconnut tout de suite pour être en vie; et les dames et les messieurs, à la réalité desquels rien ne put jamais le faire croire, parce qu'il n'avait rien vu ni entendu de sa vie qui leur ressemblat; les pièces d'artifice qui firent fermer les yeux à Barbe; la Dame abandonnée, qui la fit pleurer; le Tyran, qui la fit trembler; l'homme qui chanta une chanson avec la suivante de la Dame et dansa
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