son image, entourée comme elle l'était, de
tous ces objets étrangers à sa nature, qu'ils étaient moins en harmonie
avec les goûts de son sexe et de son âge. Si ces secours m'avaient
manqué, si j'avais dû me représenter Nelly dans un appartement
ordinaire où il n'y eût rien de bizarre, rien d'inaccoutumé, il est bien
présumable que sa solitude étrange m'eût moins vivement impressionné.
Dans ce cadre, elle formait pour moi une sorte d'allégorie, et avec tout
ce qui l'entourait, elle excitait si puissamment mon intérêt que, malgré
tous mes efforts, je ne pouvais la chasser de ma mémoire et de mes
pensées.
«Ce serait, me dis-je après avoir fait avec vivacité quelques tours dans
ma chambre, ce serait pour l'imagination un travail curieux que de
suivre Nelly dans sa vie future, de la voir continuant sa route solitaire
au milieu d'une foule de compagnons grotesques; seule, pure, fraîche et
jeune. Il serait curieux de...»
Ici je m'arrêtai; car le thème m'eût mené loin, et déjà je voyais s'ouvrir
devant moi une région dans laquelle je me sentais médiocrement
disposé à pénétrer. Je reconnus que ce n'étaient que des rêvasseries, et
je pris le parti d'aller me coucher pour trouver dans mon lit le repos et
l'oubli.
Mais, toute la nuit, soit éveillé, soit endormi, les mêmes idées revinrent
à mon esprit, les mêmes images restèrent en possession de mon cerveau.
Toujours, toujours j'avais en face de moi la boutique aux sombres
parois; les armures et les cottes de mailles toutes vides avec leur
tournure de spectres silencieux; les figures de bois et de pierre,
sournoises et grimaçantes; la poussière, la rouille, le ver vivant dans le
chêne qu'il ronge; et, seule au milieu de ces antiquités, de ces ruines, de
cette laideur du passé, la belle enfant dans son doux sommeil, souriant
au sein de ses rêves légers et radieux.
CHAPITRE II.
Durant près d'une semaine, je combattis le désir qui me poussait à
revoir le lieu que j'avais quitté sous les impressions dont j'ai esquissé le
tableau. Enfin je m'y décidai, et résolu à me présenter cette fois en plein
jour, je m'acheminai, dès le commencement d'une après-midi, vers la
demeure du vieillard.
Je dépassai la maison et fis plusieurs tours dans la rue avec cette espèce
d'hésitation bien naturelle chez un homme qui sait que sa visite n'est
pas attendue et qui n'est pas bien sûr qu'elle soit agréable. Cependant,
comme la porte de la boutique était fermée, et comme rien n'indiquait
que je dusse être reconnu des gens qui s'y trouvaient, si je me bornais
purement et simplement à passer et repasser devant la porte, je ne tardai
pas à surmonter mon irrésolution et je me trouvai chez le marchand de
curiosités.
Le vieillard se tenait dans l'arrière-boutique, en compagnie d'une autre
personne. Tous deux semblaient avoir échangé des paroles vives; leur
voix, qui était montée à un diapason très-élevé, cessa de retentir
aussitôt qu'ils m'aperçurent. Le vieillard s'empressa de venir à moi, et,
d'un accent plein d'émotion, me dit qu'il était charmé de me voir. Il
ajouta:
«Vous tombez ici dans un moment de crise.»
Et, montrant l'homme que j'avais trouvé avec lui:
«Ce drôle m'assassinera un de ces jours. S'il l'eût osé, il l'aurait fait déjà
depuis longtemps.
-- Bah! dit l'autre; c'est vous plutôt qui, si vous le pouviez, livreriez ma
tête par un faux serment; nous savons bien cela.»
Avant de parler ainsi, le jeune homme s'était tourné vers moi et m'avait
regardé fixement en fronçant les sourcils.
«Ma foi, dit le vieillard, je ne m'en défends pas. Si les serments, les
prières ou les paroles pouvaient me débarrasser de vous, je le ferais, et
votre mort serait pour moi un grand soulagement.
-- Je le sais, c'est ce que je vous disais moi-même tout à l'heure, n'est-il
pas vrai? Mais, ni serments, ni prières, ni paroles ne suffisent pour me
tuer. En conséquence, je vis et je veux vivre.
-- Et sa mère n'est plus!... s'écria le vieillard, joignant ses mains avec
désespoir et levant ses yeux au ciel; voilà donc la justice de Dieu!»
Le jeune homme était debout, frappant du pied contre une chaise et le
regardant avec un ricanement de dédain. Il pouvait avoir environ vingt
et un ans; il était bien fait et avait certainement la taille élégante, mais
l'expression de sa physionomie n'était pas de nature à lui gagner les
coeurs: car elle offrait un. caractère de libertinage et d'insolence
vraiment repoussant, en harmonie d'ailleurs avec ses manières et son
costume.
«Justice ou non, dit-il, je suis ici et j'y resterai jusqu'à ce que je juge
convenable de m'en aller, à moins que vous n'appeliez main-forte pour
me faire mettre dehors: mais vous n'en viendrez pas là, je le sais. Je
vous répète que je veux voir
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