Le livre des masques | Page 8

Remy de Gourmont

par l'ombre grasse,
Un chevreuil bruit dans les feuilles qu'il cueille,

La brise en la frise des bouleaux passe,
De feuille en feuille;
Par ma plaine de mai toute herbe s'argente,
Le soleil y luit comme au
jeu des épées,
Une abeille vibre aux muguets de la sente
Des hautes
fleurs vers le ru groupées.
La brise en la frise des frênes chante....

Mais il connaît d'autres fleurs que celles dont les clairières sont
coutumières; il connaît la fleur-qui-chante, celle qui chante, lavande,
marjolaine ou fée, dans le vieux jardin des ballades et des contes. Les
chansons populaires ont laissé dans sa mémoire des refrains qu'il mêle
à de petits poèmes qui en sont le commentaire ou le rêve:
Où est la Marguerite,
O gué, ô gué,
Où est la Marguerite?
Elle est dans son château, coeur las et fatigué,
Elle est dans son
hameau, coeur enfantile et gai,
Elle est dans son tombeau, semons-y
du muguet,
O gué, la Marguerite.
Et cela est presque aussi pur que les Cydalises de Gérard de Nerval,
Où sont nos amoureuses?
Elles sont au tombeau;
Elles sont plus
heureuses
Dans un séjour plus beau....
Et presque aussi innocemment cruel que cette ronde que chantent--et
que dansent--les petites filles.
La beauté, à quoi sert-elle?
Elle sert à aller en terre,
Être mangée
par les vers,
Être mangée par les vers....
M. Vielé-Griffin n'a usé que discrètement de la poésie populaire--cette
poésie de si peu d'art qu'elle semble incréée--mais il eût été moins
discret qu'il n'en eût pas mésusé, car il en a le sentiment et le respect.
D'autres poètes ont malheureusement été moins prudents et ils ont
cueilli la rose-qui-parle avec de si maladroites ou de si grossières mains
qu'on souhaiterait qu'un éternel silence eût été conjuré autour d'un
trésor maintenant souillé et vilipendé.
Comme la forêt, la mer enchante et enivre M. Vielé-Griffin; il l'a dite
toute en ses premiers vers, cette déjà lointaine Cueille d'Avril, la mer
dévoratrice, insatiable, gouffre et tombe, la mer sauvage à la houle
orgueilleuse et triomphale, la mer lascive aux voluptueuses vagues, la

mer furieuse, la mer insoucieuse, la mer tenace et muette, la mer
envieuse et qui se farde d'étoiles ou de soleils, d'aurores ou de
minuits,--et le poète lui reproche sa gloire volée:
Ne sens-tu pas en toi l'opulence de n'être
Que pour toi seule belle, ô
Mer, et d'être toi?
puis il proclame sa fierté de n'avoir pas suivi l'exemple de la mer, de
n'avoir pas demandé la gloire à d'heureuses réminiscences, à de hardis
plagiats. Il faut reconnaître que M. Vielé-Griffin, qui ne mentait déjà
pas, s'est tenu parole depuis; il est bien demeuré lui-même, vraiment
libre, vraiment fier et vraiment farouche. Sa forêt n'est pas illimitée,
mais ce n'est pas une forêt banale, c'est un domaine.
Je ne parle pas de la part très importante qu'il a eue dans la difficile
conquête du vers libre;--mon impression est plus générale et plus
profonde, et doit s'entendre non seulement de la forme, mais de
l'essence de son art: il y a, par Francis Vielé-Griffin, quelque chose de
nouveau dans la poésie française.

STÉPHANE MALLARMÉ
Avec Verlaine, M. Stéphane Mallarmé est le poète qui a eu l'influence
la plus directe sur les poètes d'aujourd'hui. Tous deux furent
parnassiens et d'abord baudelairiens.
Per me si va tra la perduta gente.
Par eux on descend le long de la montagne triste jusqu'en la cité dolente
des Fleurs du Mal. Toute la littérature actuelle et surtout celle que l'on
appelle symboliste, est baudelairienne, non sans doute par la technique
extérieure, mais par la technique interne et spirituelle, par le sens du
mystère; par le souci d'écouter ce que disent les choses, par le désir de
correspondre, d'âme à âme, avec l'obscure pensée répandue dans la nuit
du monde, selon ces vers si souvent dits et redits:

La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de
confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une
ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Avant de mourir, Baudelaire avait lu les premiers vers de Mallarmé; il
s'en inquiéta; les poètes n'aiment pas à laisser derrière eux un frère ou
un fils; ils se voudraient seuls et que leur génie pérît avec leur cerveau.
Mais M. Mallarmé ne fut baudelairien que par filiation; son originalité
si précieuse s'affirma vite; ses Proses, son Après-midi d'un Faune, ses
Sonnets vinrent dire, à de
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