Le livre des masques | Page 4

Remy de Gourmont
obscures et pures r��gions o�� des amants disent: ?Que tu m'embrasses gravement....--Ne ferme pas les yeux quand je t'embrasse ainsi.... Je veux voir les baisers qui tremblent dans ton coeur; et toute la ros��e qui monte de ton ame... nous ne trouverons plus de baisers comme ceux-ci...--Toujours, toujours!... --Non, non: on ne s'embrasse pas deux fois sur le coeur de la mort....? A de si beaux soupirs toute objection devient muette; on se tait d'avoir senti un nouveau mode d'aimer et de dire son amour. Nouveau, vraiment; M. Maeterlinck est tr��s lui-m��me, et pour rester enti��rement personnel, il sait ��tre monocorde: mais cette seule corde, il en a sem��, roui, teill�� le chanvre, et elle chante douce, triste et unique sous ses languissantes mains. Il a r��ussi une oeuvre vraie; il a trouv�� un cri sourd inentendu, Une sorte de g��missement frileusement mystique.
Mysticisme, ce mot a pris en ces derni��res ann��es tant de sens les plus divers et m��me divergents qu'il faudrait le d��finir �� nouveau et express��ment chaque fois qu'on va l'��crire. Certains lui donnent une signification qui le rapprocherait de cet autre mot qui semble clair, individualisme; et il est certain que cela se touche, puisque le mysticisme peut ��tre dit l'��tat dans lequel une ame, laissant aller le monde physique et d��daigneuse des chocs et des accidents, ne s'adonne qu'�� des relations et �� des intimit��s directes avec l'infini; or, si l'infini est immuable et un, les ames sont changeantes et plusieurs: une ame n'a pas avec Dieu les m��mes entretiens que ses soeurs, et Dieu, quoique immuable et un, se modifie selon le d��sir de chacune de ses cr��atures et il ne dit pas �� l'une ce qu'il vient de dire �� l'autre. Le privil��ge de l'ame ��lev��e au mysticisme est la libert��; son corps m��me n'est pour elle qu'un voisin auquel elle donne �� peine le conseil amical du silence, mais s'il parle elle ne l'entend qu'�� travers un mur, et s'il agit elle ne le voit agir qu'�� travers un voile. Un autre nom a ��t�� donn��, historiquement, �� un tel ��tat de vie: qui��tisme; cette phrase de M. Maeterlinck est bien d'un qui��tiste, qui nous montre Dieu souriant ?�� nos fautes les plus graves comme on sourit au jeu des petits chiens sur un tapis?. Elle est grave, mais elle est vraie si l'on songe �� ce peu de chose qu'est un fait et comment un fait se produit et comment nous sommes entra?n��s par la cha?ne sans fin de l'Action et combien peu nous participons r��ellement �� nos actes les plus d��cisifs et les mieux motiv��s. Une telle morale, laissant aux mis��rables lois humaines le soin des jugements inutiles, arrache �� la vie l'essence m��me de la vie et la transporte en des r��gions sup��rieures o�� elle fructifie �� l'abri des contingences, et des plus humiliantes, qui sont les contingences sociales. La morale mystique ignore donc toute oeuvre qui n'est point marqu��e �� la fois du double sceau humain et divin; aussi fut-elle toujours redout��e des clerg��s et des magistratures, car niant toute hi��rarchie d'apparence, elle nie, au moins par abstention, tout l'ordre social: un mystique peut consentir �� tous les esclavages, mais non �� celui d'��tre un citoyen. M. Maeterlinck voit venir des temps o�� les hommes se comprendront d'ame �� ame, comme les mystiques se comprennent d'ame �� Dieu. Est-ce vrai? Les hommes seront-ils un jour des hommes, des ��tres libres et si fiers qu'ils n'admettront d'autres jugements que les jugements de Dieu? M. Maeterlinck aper?oit cette aurore, parce qu'il regarde en lui-m��me et qu'il est lui-m��me une aurore, mais s'il regardait l'humanit�� ext��rieure, il ne verrait que l'immonde app��tit socialiste des anges et des ��tables. Les humbles, pour qui il a ��crit divinement, ne liront pas son livre, et s'ils le lisaient, ils n'y verraient qu'une d��rision, car ils ont appris que l'id��al est une mangeoire et ils savent que s'ils levaient les yeux vers Dieu, leurs ma?tres les fouetteraient.
Ainsi le Tr��sor des Humbles, ce livre d'amour et de lib��ration, me fait songer avec amertume �� la mis��rable condition de l'homme d'aujourd'hui--et sans doute de tous les temps possibles,
Magnifique mais qui sans espoir se d��livre?Pour n'avoir pas chant�� la r��gion o�� vivre?Quand du st��rile hiver a resplendi l'ennui.
Et ce sera en vain que
Tout son col secouera cette blanche agonie,
l'heure de la d��livrance sera pass��e et quelques-uns seulement l'auront entendue sonner.
Pourtant, que de moyens de salut dans ces pages o�� M. Maeterlinck, disciple de Ruysbroeck, de Novalis, d'Emerson et d'Hello, ne demandant �� ces sup��rieurs esprits (dont les deux moindres eurent des intuitions de g��nie) que le signe de la main qui encourage aux voyages obscurs! Le commun des hommes, et les plus conscients, qui ont tant d'heures de ti��deur, y trouveraient des encouragements �� go?ter la simplicit�� des jours
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 38
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.