Charité, professeur à l'école de médecine, professeur d'anatomie à l'école des beaux-arts, chirurgien du roi Louis XVI.
Ce dernier eut pour successeur et continuateur Jean-Joseph Sue, qui, outre la place des Beaux-Arts, dont il hérita de son père, devint médecin en chef de la garde impériale, et, plus tard, médecin en chef de la maison militaire du roi.
Ce fut le père d'Eugène Sue.
Et, ici, constatons un fait: c'est que Jean Sue, père d'Eugène Sue, fut celui qui soutint contre Cabanis la fameuse discussion sur la guillotine, lorsque son inventeur, M. Guillotin, affirma à l'Assemblée nationale que les guillotinés en seraient quittes pour une légère fra?cheur sur le cou. Jean-Joseph Sue, au contraire, soutint la persistance de la douleur au-delà de la séparation de la tête, et il défendit son opinion par des arguments qui prouvaient sa science profonde de l'anatomie, et par des exemples pris, les uns chez des médecins allemands, les autres sur la nature.
On a dit dernièrement, à propos de la mort d'Eugène Sue, qu'il était né en 1801.
Il me dit un jour, à moi, qu'il était né le 1er janvier 1803, et nous calculames qu'il avait cinq mois de moins que moi, quelques jours de plus que Victor Hugo.
Il eut pour parrain le prince Eugène, pour marraine, l'impératrice Joséphine; de là son prénom d'Eugène.
Il fut nourri par une chèvre et conserva longtemps les allures brusques et sautillantes de sa nourrice.
Il fit, ou plut?t ne fit pas ses études au collège Bourbon; car, ainsi que tous les hommes qui doivent conquérir dans les lettres un nom original et une position éminente, Eugène Sue fut un exécrable écolier.
Son père, médecin de dames surtout, faisait un cours d'histoire naturelle à l'usage des gens du monde; il s'était remarié trois fois, et était riche de deux millions, à peu près.
Il demeurait rue du Rempart, rue qui a disparu depuis, et qui était située alors derrière la Madeleine.
Tout ce quartier était occupé par des chantiers; le terrain n'y valait pas le dixième de ce qu'il vaut aujourd'hui. M. Sue y possédait une belle maison, avec un magnifique jardin.
Dans la même maison que M. Sue, demeurait sa soeur, mère de Ferdinand Langlé, qui, en collaboration avec Villeneuve, a fait, de 1822 à 1830, une cinquantaine de vaudevilles.
En 1817 et 1818, les deux cousins allaient ensemble au collège Bourbon, c'est-à-dire que Ferdinand y allait, et que le futur auteur de _Mathilde _était censé y aller.
Eugène avait un répétiteur à domicile. J'ai encore connu ce brave homme: c'était un digne Auvergnat de cinq pieds de haut, qui, étant entré pour faire répéter Eugène Sue, et tenant à gagner honnêtement son argent, n'hésitait pas à soutenir des luttes corps à corps avec son élève, qui avait la tête de plus que lui.
Ordinairement, lorsqu'une de ces luttes mena?ait, Eugène Sue prenait la fuite, mais, comme Horace, pour être poursuivi et vaincre son vainqueur.
Le père Delteil -- c'est ainsi que se nommait le digne répétiteur -- se laissait constamment prendre à cette manoeuvre stratégique, si simple qu'elle f?t.
Eugène fuyait au jardin, le répétiteur l'y suivait; mais, arrivé là, l'écolier rebelle se trouvait à la fois au milieu d'un arsenal d'armes offensives et défensives.
Les armes défensives, c'étaient les plates-bandes du jardin botanique, le labyrinthe, dans lequel il se réfugiait, et où le père Delteil n'osait le poursuivre, de peur de fouler aux pieds les plantes rares, que l'écolier fugitif écrasait impitoyablement et à pleine semelle; les armes offensives, c'étaient les échalas portant sur des étiquettes les noms scientifiques des plantes, échalas qu'Eugène Sue, comme le fils de Thésée, convertissait en javelots pour pousser au monstre, et qu'il lui lan?ait avec une adresse qui e?t fait honneur à Castor et à Pollux, les deux plus habiles lanceurs de javelots de l'Antiquité, avant que Racine e?t inventé Hippolyte.
Oh! ne nous reprochez pas la gaieté qui s'étendra sur cette première phase de la vie de notre ami, qui fut notre confrère sans être notre rival. C'est le rayon de soleil auquel a droit toute jeunesse qui n'est point maudite du Seigneur. La fin de la vie sera assez triste, allez! assez sombre, assez orageuse!
Suivons donc l'enfant dans son jardin, nous retrouverons l'homme dans son désert.
Quand il fut démontré au père d'Eugène Sue que la vocation de son fils était de lancer le javelot et non d'expliquer Horace et Virgile, il le tira du collège et le fit entrer, comme chirurgien sous-aide, à l'h?pital de la Maison du roi, dont il était chirurgien en chef, et qui était situé rue Blanche.
Eugène Sue y retrouva son cousin Ferdinand Langlé et le futur docteur Louis Véron, qui devait aussi abandonner la médecine, non pour faire, mais pour faire faire de la littérature.
Nous avons dit qu'Eugène Sue avait beaucoup du caractère de sa nourrice la chèvre. C'était, en effet, et nous l'avons encore connu ainsi, un franc
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