Le journal dune pensionnaire en vacances | Page 9

Noémie Dondel Du Faouëdic
longue, elles ne tardent pas à
toucher terre et à reprendre possession de leur plancher.
Après cette petite digression, continuons notre route car nous allons
déjeuner à Méaban, une île inhabitée des hommes, mais toute peuplée
de moutons et de lapins qui se régalent à belles dents du thym sauvage
et du serpolet parfumé qui tapissent ce roc perdu dans les flots. Nous
allions... mais l'homme propose et l'Océan dispose... Soudain, un nuage
noir s'est levé à l'horizon et semble courir vers nous; des troupes de
courlis tourbillonnent sur les vagues, de gros cormorans pêchent
gravement aux creux des rochers, et les goélands, effrayés, agitent leurs
grandes ailes et font retentir l'air de cris aigus. Il n'y a plus à en douter,
un grain se forme et s'avance. Il est plus prudent de rentrer dans le golfe,
maître Océan étant un camarade avec lequel il ne faut pas toujours
badiner. Nous longeons, en regagnant la rivière de Vannes, l'écueil
qu'on appelle communément le Mouton, le plus terrible de tous les
courants dont ces parages abondent, et que les marins experts
reconnaissent à la teinte des eaux. Le Mouton est blanc comme une
toison de laine, mais il n'a rien de la douceur ni de la candeur de son
homonyme, et ce sont, sans doute, les vagues blanchissantes et
moutonneuses qui se précipitent tumultueusement dans son gouffre
comme un troupeau indompté, qui lui ont fait donner son nom.
Telle est sa puissance que tous les bateaux, frêles ou forts, esquifs ou
navires qui s'égarent dans ses courants, sont saisis de vertige et se
mettent à tournoyer sur eux-mêmes comme un toton, s'enfonçant
toujours davantage, jusqu'à ce qu'ils disparaissent complètement... Puis
la mer se referme tout à fait, de nouveaux flots couvrent les anciens, qui
s'adoucissent et se calment en s'éloignant, inconscients du drame
horrible qu'ils viennent de jouer.
Nous avons fait la cuisine à bord et préparé un repas homérique; toutes
les pattes, blanches ou brunes, ont prêté leur concours au cordon-bleu.
On a épluché les légumes, taillé le pain et la viande: c'était un vrai
plaisir déjà, mais qui s'est doublé lorsque la bonne odeur de la soupe et

le grand air sont venus ouvrir à deux battants les portes de l'estomac.
Après nous être lestés mieux encore que la chaloupe, nous avons filé
sur Vannes, laissant derrière nous le joli bourg d'Arradon et quantité
d'habitations de plaisance, modestes maisons, châteaux élégants,
chalets découpés et dentelés. Ces derniers s'apportent en caisses, par
morceaux, se montent et se démontent presque aussi facilement que ces
jolis joujoux suisses, ces bergeries de carton qui ont bien amusé mon
enfance. Nous avons encore salué Pen-Boc'h, la campagne des Jésuites,
dont les vastes bâtiments et la gracieuse chapelle se mirent dans les
cieux pendant que la pimpante nacelle qui promène de temps en temps
les collégiens se mire dans les flots; Conleau, une maisonnette blanche,
plantée dans le feuillage entre deux azurs, le ciel et l'Océan; le village
de Séné, à moitié caché dans son nid de verdure; les Trois-Sapins,
aujourd'hui représentés par un seul, et lieu favori où les Vannetais
viennent prendre les bains; et enfin Vannes, encore dans le lointain, et
se perdant dans la brume. Plusieurs chapeaux à l'eau nous donnent les
émotions d'un homme à la mer; nous courons trois bords pour en
repêcher un, plein de bonne volonté: quant aux deux autres, nous les
abandonnons pour jeter les fondements de nouvelles îles. Le grain
aperçu en mer s'est évanoui comme par enchantement; le soleil est
merveilleux... cependant, on nous attend pour souper à Kergonano, et il
serait bon de songer au retour; mais le courant et la brise se sont
endormis ensemble, et, de ce train-là, dit mon oncle, nous pourrions
faire quatorze lieues en quinze jours.
Nous sommes au repos le plus complet, à peine si notre esquif se
balance; c'est le calme plat. Bientôt Phébus (style olympique), entouré
de pourpre et d'or, descend à l'horizon et disparaît dans la mer. La nuit
déploie ses voiles, et nous voyons se lever une à une toutes les étoiles
dans les profondeurs du firmament. Le vent fraîchit mais il a tourné
bout pour bout et nous renvoie en ville, et nous voilà luttant et courant
des bords, dans notre chaloupe à moitié perdue et visible sur la plaine
liquide, comme une noisette dans un bois sauvage. Mais que faire? Il
faut prendre son mal en patience, l'Océan est toujours maître chez lui,
d'ailleurs, il se montre bon prince ce soir, il est admirable et le ciel aussi,
mille feux nous éclairent et la lune, ce doux soleil des nuits, verse sur
nous ses plus tendres rayons. On sommeille d'abord, puis on cause, puis

on chante, et toutes nos voix sonores, s'élevant dans le silence et le
calme de la nuit et des flots,
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