Le journal dune pensionnaire en vacances | Page 7

Noémie Dondel Du Faouëdic
soeur Elisa est devenue une très belle personne, mais son cèdre a autrement prospéré qu'elle?. Le fait est que ses immenses branches s'étendent à je ne sais combien de mètres autour de son tronc. Nous avons caressé les chiens bondissant joyeusement auprès de leur ma?tre; nous avons regardé les chevaux et les nombreuses vaches qui remplissent les étables.
Nous sommes allés à la serre, un peu dépeuplée en ce moment mais gardant encore la famille des plantes grasses et de superbes grappes de raisin. Puis nous avons pénétré dans l'intéressante demeure des volatiles auxquels mon oncle a jeté quelques poignées de grains; alors sont accourus, pigeons roucoulant, poules gloussant, poussins piaulant et le roi de la basse-cour un coq superbe lan?ant à pleins poumons dans les airs ses cocoricos prolongés. Mon oncle m'a donné le plaisir d'aller moi-même dénicher dans les nids les bons oeufs frais, dont quelques-uns encore chauds. Nous n'avons fait qu'entrevoir les lapins en robes blanches et grises; à notre approche ces farouches quadrupèdes sont allés se blottir au fond de leur loge où ils ne formaient plus qu'un monceau de courtes queues et de longues oreilles.
Après ces différentes visites mon oncle nous a demandé si nous n'étions pas un peu fatigués de cette longue promenade à travers Kergonano et il a ajouté: ?C'est ce qu'on est convenu d'appeler subir le propriétaire.?
--Mais non, mon oncle, nous sommes-nous écriés, tout ce que nous voyons nous intéresse beaucoup.
--Oui, a renchéri mon frère, d'un ton presque sentencieux. Mon oncle, nous voulons tout voir!
--Alors, suivez-moi, venez faire la connaissance de trois nouveaux élèves que j'entoure de soins... dans une caisse. Devinez si vous pouvez, je vous donne en cent, en mille, comme la spirituelle marquise.
--Sont-ce des oiseaux?
--Des lapins?
--Des écureuils?
--Vous n'y êtes pas.
--Ah! s'écrie Henri, ce sont des petits chiens!
--Vous n'y êtes pas encore. Ce sont des renards.
--Ah! mais cela va nous amuser; nous n'en avons jamais vu de vivants.
Mon oncle a soulevé le couvercle d'une barrique et nous les avons vus dormant blottis les uns contre les autres. Ils sont très mignons; on dirait de petits ours en miniature; d'ailleurs, à l'inverse des oiseaux qui sont si laids en naissant, tous les quadrupèdes sont gentils. Malheureusement, mon oncle ne pourra pas les garder longtemps, car leur instinct carnassier se révélera bien vite; et les renards encha?nés en vieillissant deviennent très méchants et s'ils s'échappaient, mon Dieu! quelle hécatombe ils feraient de toute la gent emplumée!
Demain nous commencerons déjà nos excursions. Nous irons entendre la messe solennelle qu'une fois seulement Mgr l'évêque de Vannes célèbre chaque année au camp de Meucon.
Après-demain nous irons nous promener sur les grèves de Larmor, saluer le vieil océan et visiter la chaloupe de mon oncle La Protégée de Marie, avec laquelle nous devons faire plusieurs promenades en mer.
Au moment du d?ner deux h?tes inattendus sont arrivés. Ma tante les a accueillis avec son amabilité habituelle tout en s'excusant de n'avoir à leur offrir que la fortune du pot.
D'ailleurs dans ce cher domaine de Kergonano, hospitalier par excellence, on ne s'effarouche pas facilement. L'hiver dernier, un vendredi soir, vers six heures, quatre chasseurs affamés s'abattent sur Kergonano pour demander à d?ner et même à coucher, le ciel venant d'ouvrir toutes ses cataractes. Leur offrir un bon g?te ce n'était rien car Kergonano est grand, mais rassasier ces quatre ogres qui criaient famine, cela e?t pu para?tre compliqué à tout autre ma?tre de maison que mon oncle; il ne s'embarrasse jamais!
Ma tante et mon cousin étaient absents depuis quinze jours et mon oncle était seul. Il va trouver sa cuisinière et lui dit: ?Marie Jeanne, on peut manger les oeufs à plusieurs sauces. Nous aurons donc un plat d'oeufs au miroir, des oeufs durs avec de la salade et une omelette sucrée au rhum; un plat de pommes de terre frites, à la ma?tre d'h?tel, et l'excellent riz que je vois mijoter sur le fourneau. Avec cela nous ouvrirons deux bo?tes de conserves: sardines à l'huile, homard, pour lequel vous ferez une bonne mayonnaise. Voilà le menu. Seulement le dessert est un peu maigre.?
--Monsieur, il y a toujours les quatre mendiants traditionnels, amandes, noisettes, etc...
--Oui, oui, qui trottent au milieu de quelques gateaux secs, mais cela ne suffit pas pour orner la table. Voyons, combinons les choses. Dans la corbeille de milieu vous mettrez de la verdure: branche de laurier en fleur, branches de houx à perles rouges, branches de gui à perles blanches, ce sera un surtout superbe; et pendant que les chasseurs se chauffent et se sèchent je vais vous faire vos quatre corbeilles de table.
--Avec quoi? grand Dieu! murmura Marie Jeanne épouvantée.
--Envoyez de suite chercher verdure et mousse, et vous, apportez-moi des carottes, des navets, des oignons et des pommes, ces seuls fruits que nous ayons maintenant. Il ne reste pas une poire. Lavez comme il
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