Le gibet | Page 9

Émile Chevalier
sa tente. Ce n'est pas une métaphore. La tente, puis la hutte, sont les demeures premières du colon, car du séjour dans les villes ou même dans les villages, il n'en faut pas parler, à moins que l'on n'apporte avec soi de gros capitaux.
Mais j'imagine que vous ayez acheté pour quelques francs une étendue de terrain cent fois plus grande que votre village de France et que vous soyez entré en jouissance de ce superbe domaine[2]; c'est ordinairement une forêt vierge, ce que l'on appelle terre en bois debout, ou une savane.
[Note 2: Les forêts, terres on bois debout, valent de 10 à 15 francs l'acre (environ un arpent). Celles qui font partie du domaine public, et les terres incultes en font presque toutes partie, sont vendues à prix réduits et presque nominaux, depuis 1 fr. 25 c. jusqu'à 3, 6 et 8 fr. l'acre. La vente de ces terres se fait avec des conditions de paiement raisonnables. Le gouvernement accorde jusqu'à huit et dix années pour ce paiement.]
Commencez par construire votre cabane. Elle formera un carré. Les murailles seront composées de troncs d'arbres couchés horizontalement les uns sur les autres, avec des entailles à chaque bout pour les embo?ter. La glaise remplira les interstices. Quelques voliges constitueront le toit. A défaut de plancher, ce seront des branchages. Le sol à l'intérieur sera battu comme l'aire d'une grange. Une petite fenêtre à quatre carreaux en parchemin, puis en verre, l'éclairera. Avec des ais ou des rameaux de sapin vous ferez votre lit. Un poêle en fonte, une marmite, des écuelles, un banc, vos malles, voilà le mobilier. La farine de ma?s, le porc, le boeuf salé, les pommes de terre (patates) sont chargés de vous sustenter, pendant les premières années au moins. A peine organisé, vous vous mettrez au travail. Il faut faire la guerre à la forêt On y porte le feu. En détruisant les herbes, les lichens, les plantes de toutes espèces, les arbustes, l'incendie amoncelle sur le sol des couches de cendre qui en stimuleront les capacités productives, dès qu'il aura re?u des semences. Mais ce ne sera guère que dans CINQ ANS qu'il paiera le colon de ses labeurs et de ses déboursés.
Suivons pas à pas les progrès de celui-ci.
Notre homme prend possession de sa terre le 1er mai 1864, par exemple. Le 24 juin il pourra avoir défriché, c'est-à-dire abattu avec sa cognée tous les arbres demeurés debout après l'incendie, et planté de pommes de terre deux acres. Le 24 ao?t, il aura découvert six autres acres. Il mettra autant de temps pour empiler le bois, afin de le br?ler. Mais, comme l'entassement (loggins) s'opère ordinairement en un jour, en faisant un bee (prononcez bie), ce qui consiste à appeler à son aide tous les voisins, et comme il doit naturellement rendre à chacun d'eux un jour pour semblable assistance, cet échange de travail le mènera jusque vers le 24 octobre. Je lui accorde ensuite jusqu'au 1er décembre pour couper son bois de chauffage, et le laisse passer l'hiver, saison qu'il emploiera à préparer du bois de construction en un chantier au milieu de la forêt, dans un rayon de 30 à 40 lieues ou même plus de chez lui. Son travail lui sera payé sur le pied de 60 fr. par mois, nourriture comprise. Au chantier, il demeurera jusqu'à la fin de mars. Ainsi, il aura gagné 240 fr. Le bois de ses huit acres de terre aura produit 480 boisseaux de cendre, et, en admettant qu'il n'ait ni le temps ni les ustensiles nécessaires pour transformer ses cendres en potasse, il pourra les vendre de 2 1/2 à 3 sous le boisseau, et réalisera ainsi de 60 à 70 fr. Or, en ajoutant ces 60 aux 240 fr. déjà gagnés au chantier, il sera possesseur de 300 fr., somme suffisante pour payer le porc, la farine et le thé (boisson en usage), dont il aura besoin pendant les sept mois finissant au 1er mai 1865, sans mettre en ligne de compte les économies de farine qu'il lui sera facile de faire au moyen de ses pommes de terre. En revenant de son chantier, le 1er avril 1865, il pourra, dans les parties tempérées de l'Amérique septentrionale; défricher 2 acres, lesquels, avec les 2 acres défrichés le printemps précédent et les 6 acres défrichés pendant l'été, lui donneront 10 acres de terre propre à la culture et environ 120 boisseaux de cendre, valant de 15 à 17 fr. Il sèmera sur cette terre trois acres de blé, cinq d'avoine et deux de pommes de terre. Son blé lui donnera en moyenne, 20 boisseaux par acre, desquels il tirera aisément 12 quarts ou barils de farine. En défalquant de cette quantité 6 quarts qui, avec les pommes de terre, seront consacrés à son usage personnel,
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 71
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.