Le fils du Soleil | Page 7

Gustave Aimard
à dix pas de lui environ, il vit les trois homme arrêtés et causant vivement entre eux. Il se releva de terre, s'effa?a derrière un érable et prêta l'oreille.
Don Juan Perez avait laissé retomber son manteau, l'épaule appuyée contre un arbre, les jambes croisées, et il écoutait avec une impatience visible ce que lui disait en ce moment Chillito.
Don Juan Perez était un homme de vingt-huit ans, beau, d'une taille élevée et bien prise, pleine d'élégance et de noblesse dans tous ses mouvements, avec cette attitude hautaine que donne l'habitude de commander. Des yeux noirs grands et vifs illuminaient l'ovale de son visage, deux yeux comme chargés d'éclairs et dont il était presque impossible de supporter le regard et la fascination étranges. Les narines mobiles de son nez droit semblaient s'ouvrir aux passions vives; une froide raillerie s'était incrustée dans les coins de sa bouche, belle de dents blanches et surmontée d'une moustache noire. Le front était large, la peau bistrée par les ardeurs du soleil, la chevelure longue et soyeuse. Cependant malgré toutes ces prodigalités de la nature, son expression altière et dédaigneuse finissait par inspirer une sorte de répulsion.
Les mains de don Juan étaient parfaitement gantées et petites; son pied, un pied de race, se cambrait dans des bottes vernies. Pour le costume, qui était d'une grande richesse, il était absolument pareil par la forme à celui des gauchos. Un diamant d'un prix immense serrait le col de sa chemise, et le fin tissu de son poncho valait plus de cinq cents piastres.
Deux ans avant l'époque de ce récit, don Juan Perez était arrivé au Carmen inconnu de tout le monde, et chacun s'était demandé: d'où vient-il? de qui tient-il sa fortune princière? où sont ses propriétés? Don Juan avait acheté, dans la colonie, une estancia, située à deux ou trois lieues de Carmen, et, sous prétexte de défense contre les Indiens, il l'avait fortifiée, entourée de fossés et de palissades et munie de six pièces de canon. Il avait ainsi muré sa vie et déjoué la curiosité. Quoique son estancia ne s'ouvrit jamais devant aucun h?te, il était accueilli par les premières familles du Carmen, qu'il visitait assid?ment, pour soudain, au grand étonnement de tous, il disparaissait pendant des mois entiers. Les dames avaient perdu leurs sourires et leurs oeillades, les hommes leurs questions adroites pour faire parler don Juan. Don Luciano Quiros, à qui son poste de gouverneur donnait droit à la curiosité, ne laissa pas d'avoir quelques inquiétudes au sujet du bel étranger, mais, de guerre lasse, il en appela au temps qui déchire t?t ou tard les voiles les plus épais.
Voilà quel était l'homme qui écoutait Chillito dans la clairière, et tout ce que l'on savait sur son compte.
--Assez! fit-il avec colère en interrompant le gauche; tu es un chien et un fils de chien.
--Senor! dit Chillito qui redressa la tête.
--J'ai envie de te briser comme un misérable que tu es.
--Des menaces! à moi! s'écria la gaucho pale de rage et dégainant son couteau.
Don Juan lui saisit le poignet de sa main gantée, et le lui tordit si rudement qu'il laissa échapper son arme avec un cri de douleur.
--A genoux! et demande pardon, reprit le gentilhomme; et il jeta Chillito sur le sol.
--Non, tuez-moi plut?t.
--Va, gueux, retire-toi, tu n'es qu'une bête brute.
Le gaucho se releva en chancelant; Le sang injectais ses yeux, ses lèvres étaient blêmes, tout son corps tremblait. Il ramassa son couteau et s'approcha de don Juan, qui l'attendait les bras croisés.
--Eh bien! oui, dit-il, je suis une bête brute, mais je vous aime, après tout. Pardonnez-moi ou tuez-moi, ne me chassez pas.
--Va-t'en.
--C'est votre dernier mot?
--Oui.
--Au diable, alors!
Et le gaucho, d'un mouvement prompt comme la pensée, leva son arme pour se frapper.
--Je te pardonne, reprit don Juan qui avait arrêté le bras de Chillito; mais, si tu veux me servir, sois muet comme un cadavre.
Le gaucho tomba à ses pieds et couvrit ses mains de baisers, semblable au chien qui lèche son ma?tre dont il a été battu.
Mato était resté témoin immobile de cette scène.
--Quel pouvoir a donc cet homme étrange pour être aimé ainsi! murmura José Diaz toujours caché derrière un arbre.
III.--DON JUAN PEREZ
Après un court silence, don Juan reprit la parole.
--Je sais que tu m'es dévoué, et j'ai en toi une entière confiance, mais tu es un ivrogne, Chillito, et la boisson conseille mal.
--Je ne boirai plus, répondit le gaucho.
Don Juan sourit.
--Bois, mais sans tuer ta raison. Dans l'ivresse, comme tu l'as fait tant?t, on lache des mots sans remède plus meurtriers que le poignard. Ce n'est pas le ma?tre qui parle ici, c'est l'ami. Puis-je compter sur vous deux?
--Oui, dirent les gauchos.
--Je pars; vous ne quittez pas la colonie et soyez prêts à tout. Surveillez particulièrement la maison de don Luis Munoz au dehors et au dedans. S'il arrive
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