Le fils du Soleil | Page 4

Gustave Aimard
Julian.
--Oui, Julian; au lieu de vingt, ils seront vingt-et-un, voilà tout, ajouta Sanchez avec un sourire railleur.
Les bomberos piquèrent des deux et disparurent dans les ténèbres.
II.--LE PRESIDIO
Longtemps après la découverte du Nouveau-Monde, les Espagnols fondèrent en Patagonie, en 1710, un Presidio situé sur la rive gauche du Rio-Négro, à sept lieues de son embouchure, et nommé Nuestra senora del Carmen ou bien encore Patagones.
L'Ulmen Negro, principal chef des Puelches campés dans le voisinage du Rio-Négro, accueillit favorablement les Espagnols, et, moyennant une distribution faite aux Indiens d'une grande quantité de vêtements et de toutes sortes d'objets à leur usage, il leur vendit le cours de cette rivière depuis son embouchure jusqu'à San Xavier. De plus, par la volonté de l'Ulmen Negro, les indigènes aidèrent les Espagnols à élever la citadelle qui devait leur servir d'abri, et prêtèrent ainsi leurs bras à leur propre servitude.
A l'époque de la fondation du Carmen, le poste consistait seulement en un fort, bati sur la rive nord, au sommet d'une falaise escarpée qui domine la rivière, les plaines du sud et la campagne environnante. Sa forme est carrée: il est construit de murs épais en pierre et flanquée de trois bastions, deux sur la rivière à l'est et à l'ouest et le troisième sur la plaine. L'intérieur renferme la chapelle, le presbytère et le magasin aux poudres; sur les autres c?tés se prolongent des logements spacieux pour le commandant, le trésorier, les officiers, la garnison et un petit h?pital. Toutes ces constructions hautes d'un rez-de-chaussée seulement, sont couvertes de tuiles. Le gouvernement possède, en outre, au dehors, de vastes greniers, une boulangerie, un moulin, deux ateliers de serrurerie et de menuiserie et deux estancias ou fermes approvisionnées de chevaux et de têtes de bétail.
Aujourd'hui le fort est presque ruiné; les murailles, faute de réparations, croulent de toutes parts; seuls les batiments d'habitation sont en bon état.
Le Carmen se divise en trois groupes deux au nord et un au sud de la rivière.
Des deux premiers, l'un, l'ancien Carmen, ou le Presidio proprement dit, est placé entre le fort et le Rio-Négro sur le penchant de la falaise et se compose d'une quarantaine de maisons, différentes d'ordres et de hauteur et formant une ligne irrégulière qui suit le cours des eaux. Autour d'elles s'éparpillent de misérables cabanes. Là est le centre du commerce avec les Indiens.
L'autre groupe de la même rive, appelé Poblacion-del-Sur, est à quelques centaines de pas du fort vers l'est; il en est séparé par des dunes mouvantes qui masquent entièrement la volée des canons. La Poblacion forme une vaste place carrée, autour de laquelle s'étend une centaine d'habitations, neuves pour la plupart, d'un seul étage, qui sont couvertes en tuiles et qui servent de demeure à des agriculteurs, à des fermiers et des pulperos (marchands d'épiceries et de liqueurs).
Entre les deux groupes, il y a plusieurs maisons éparses et semées ?a et là le long de la rivière.
Le village de la rive sud, qu'on nomme Poblacion-del-Sur, est composé d'une vingtaine de maisons alignées sur un terrain bas et sujet aux inondations. Celles-ci, plus pauvres que celles du nord, sont le refuge des gauchos et des estancieros. Quelques pulperos, attirés par le voisinage des Indiens, y ont aussi établi leur commerce.
L'aspect général en est triste: à peine quelques arbres croissent-ils de loin en loin et seulement sur le bord du fleuve, témoignant de l'existence que leur donne à regret un sol ingrat. Les rues sont pleines d'un sable pulvérulent qui obéit au vol du vent.
Cette description d'un pays complètement inconnu jusqu'à présent était indispensable pour l'intelligence des faits qui vont suivre.
Le jour où commence cette histoire, vers deux heures de l'après midi, cinq ou six gauchos, attablés dans la boutique d'un pulpero, discutaient vivement en avalant à longs traits de la chicha dans des cou?s (moitié de calebasse qui servent de tasses) qui circulaient à la ronde. La scène se passait à la Poblacion-del-Sur.
--Canario! s'écria un grand gaillard maigre et efflanqué qui avait la mine et la tournure d'un effronté coquin; ne sommes-nous pas des hommes libres? Si notre gouverneur le senor don Luciano Quiros s'obstine à nous ran?onner de la sorte, Pincheira n'est pas si loin qu'on ne puisse s'entendre avec lui. Quoique chef Indien aujourd'hui, il est de race blanche sans mélange, et caballero jusqu'au bout des ongles.
--Calla la voca (tais-toi), Chillito, reprit un autre, tu ferais mieux d'avaler ta chicha que de lacher de pareilles sottises.
--Je veux parler, moi, fit Chillito, qui s'humectait le gosier plus que les autres.
--Ne sais-tu pas que, autour de nous, dans l'ombre qui nous épient et que des oreilles s'ouvrent pour recueillir nos paroles et en profiter?
--Allons donc! dit le premier en haussant les épaules; tu as peur, toi, Mato. Je me soucie des espions comme d'une vieille bride.
--Chillito!
--Quoi! n'ai-je pas raison? Pourquoi don Luciano nous
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