Le din dEpicure | Page 2

Anatole France
mourante d'une bougie. Les cieux, qu'on croyait
incorruptibles, ne connaissent d'éternel que l'éternel écoulement des
choses.
Que la vie organique soit répandue dans tous les univers, c'est ce dont il
est difficile de douter, à moins pourtant que la vie organique ne soit
qu'un accident, un malheureux hasard, survenu déplorablement dans la
goutte de boue où nous sommes.
Mais on croira plutôt que la vie s'est produite sur les planètes de notre
système, soeurs de la terre et filles comme elle du soleil, et qu'elle s'y
est produite dans des conditions assez analogues à celles dans
lesquelles elle se manifeste ici, sous les formes animale et végétale. Un
bolide nous est venu du ciel, contenant du carbone. Pour nous
convaincre avec plus de grâce, il faudrait que les anges, qui apportèrent
à sainte Dorothée des fleurs du Paradis, revinssent avec leurs célestes
guirlandes. Mars selon toute apparence est habitable pour des espèces
d'êtres comparables aux animaux et aux plantes terrestres. Il est
probable qu'étant habitable, il est habité. Tenez pour assur qu'on s'y
entre-dévore à l'heure qu'il est.
L'unité de composition des étoiles est maintenant établie par l'analyse
spectrale. C'est pourquoi il faut penser que les causes qui ont fait sortir
la vie de notre nébuleuse l'engendrent dans toutes les autres. Quand
nous disons la vie, nous entendons l'activité de la substance organisée,
dans les conditions où nous voyons qu'elle se manifeste sur la terre.
Mais il se peut que la vie se produise aussi dans des milieux différents,
à des températures très hautes ou très basses, sous des formes
inconcevables. Il se peut même qu'elle se produise sous une forme
éthérée, tout près de nous, dans notre atmosphère, et que nous soyons
ainsi entourés d'anges, que nous ne pourrons jamais connaître, parce
que la connaissance suppose un rapport, et que d'eux à nous il ne
saurait en exister aucun.

Il se peut aussi que ces millions de soleils, joints à des milliards que
nous ne voyons pas, ne forment tous ensemble qu'un globule de sang
ou de lymphe dans le corps d'un animal, d'un insecte imperceptible,
éclos dans un monde dont nous ne pouvons concevoir la grandeur et
qui pourtant ne serait lui-même, en proportion de tel autre monde,
qu'un grain de poussière. Il n'est pas absurde non plus de supposer que
des siècles de pensée et d'intelligence vivent et meurent devant nous en
une minute dans un atome. Les choses en elles-mêmes ne sont ni
grandes ni petites, et quand nous trouvons que l'univers est vaste, c'est l
une idée tout humaine. S'il était tout à coup réduit à la dimension d'une
noisette, toutes choses gardant leurs proportions, nous ne pourrions
nous apercevoir en rien de ce changement. La polaire, renfermée avec
nous dans la noisette, mettrait, comme par le passé, cinquante ans à
nous envoyer sa lumière. Et la terre, devenue moins qu'un atome, serait
arrosée de la même quantité de larmes et de sang qui l'abreuve
aujourd'hui. Ce qui est admirable, ce n'est pas que le champ des étoiles
soit si vaste, c'est que l'homme l'ait mesuré.

* * *
Le christianisme a beaucoup fait pour l'amour en en faisant un péché. Il
exclut la femme du sacerdoce. Il la redoute. Il montre combien elle est
dangereuse. Il répète avec l'Ecclésiaste: «Les bras de la femme sont
semblables aux filets des chasseurs, laqueus venatorum.» Il nous avertit
de ne point mettre notre espoir en elle: «Ne vous appuyez point sur un
roseau qu'agite le vent, et n'y mettez pas votre confiance, car toute chair
est comme l'herbe, et sa gloire passe comme la fleur des champs.» Il
craint les ruses de celle qui perdit le genre humain: «Toute malice est
petite, comparée à la malice de la femme. Brevis omnis malitia super
malitiam mulieris». Mais, par la crainte qu'il en fait paraître, il la rend
puissante et redoutable.
Pour comprendre tout le sens de ces maximes, il faut avoir fréquenté les
mystiques. Il faut avoir coulé son enfance dans une atmosphère
religieuse. Il faut avoir suivi les retraites, observé les pratiques du culte.
Il faut avoir lu, à douze ans, ces petits livres édifiants qui ouvrent le

monde surnaturel aux âmes naïves. Il faut avoir su l'histoire de saint
François de Borgia contemplant le cercueil ouvert de la reine Isabelle,
ou l'apparition de l'abbesse de Vermont à ses filles. Cette abbesse était
morte en odeur de sainteté et les religieuses qui avaient partagé ses
travaux angéliques, la croyant au ciel, l'invoquaient dans leurs oraisons.
Mais elle leur apparut un jour, pâle, avec des flammes attachées à sa
robe: «Priez pour moi, leur dit-elle. Du temps que j'étais vivante,
joignant un jour mes mains pour la prière, je songeai qu'elles étaient
belles. Aujourd'hui, j'expie cette mauvaise pensée dans les tourments
du purgatoire. Reconnaissez, mes filles, l'adorable bonté de
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