et l'autre vêtu un personnage. J'affectai en tous lieux, d'être pareil aux autres, et je ne m'interrompis jamais de les dédaigner secrètement. Ce me fut toujours une torture d'avoir la physionomie mobile et les yeux expressifs. Si tu me vis, sous l'oeil des barbares, me prêter à vingt groupes bruyants et divers, c'était pour qu'on me laissat le répit de me construire une vision personnelle de l'univers, quelque rêve à ma taille, où me réfugier, moi, homme libre.
Ainsi revenions-nous à nos principes de l'après-midi, et à convenir que nous avons été créés pour analyser nos sensations, et pour en ressentir le plus grand nombre possible qui soient exaltées et subtiles. J'entrai dans la vie avec ce double besoin. Notre vertu la moins contestable, c'est d'être clairvoyants, et nous sommes en même temps ardents avec délire. Chez nous, l'apaisement n'est que débilité; il a toute la tristesse du malade qui tourne la tête contre le mur.
Nous possédons là un don bien rare de noter les modifications de notre moi, avant que les frissons se soient effacés sur notre épiderme. Quand on a l'honneur d'être, à un pareil degré, passionné et réfléchi, il faut soigner en soi une particularité aussi piquante. Raffinons soigneusement de sensibilité et d'analyse. La besogne sera aisée, car nos besoins, à mesure que nous les satisfaisons, croissent en exigences et en délicatesses, et seule, cette méthode saura nous faire toucher le bonheur.
C'est ainsi que Simon et moi, par emballement, par oisiveté, nous décidames de tenter l'expérience.
Courons à la solitude! Soyons des nouveau-nés! Dépouillés de nos attitudes, oublieux de nos vanités et de tout ce qui n'est pas notre ame, véritables libérés, nous créerons une atmosphère neuve, où nous embellir par de sagaces expérimentations.
* * * * *
Dès lors, nous véc?mes dans le lendemain; et chacune de nos réflexions accroissait notre enivrement. ?Désormais nous aurons un coeur ardent et satisfait?, nous affirmions-nous l'un à l'autre sur la plage, car nous avions sagement décidé de procéder par affirmation. ?Cette sole est très fra?che...; votre ma?tresse, délicieuse...? me disait jadis un compagnon d'ailleurs médiocre, et grace à son ton péremptoire la sauce passait légère, je jouissais des biens de la vie.
* * * * *
Dans la liste qu'une agence nous fit tenir, nous chois?mes, pour la louer, une maison de ma?tre, avec vaste jardin planté en bois et en vignes, sise dans un canton délaissé, à cinq kilomètres de la voie ferrée, sur les confins des départements de Meurthe-et-Moselle et des Vosges. Originaires nous-mêmes de ces pays, nous comptions n'y être distraits ni par le ciel, ni par les plaisirs, ni par les moeurs. Puis nous n'y connaissions personne, dont la gentillesse p?t nous détourner de notre généreux égotisme.
C'est alors que, corrects une suprême fois envers nos tristes amies, qui furent tour à tour ironiques et émues, nous passames à Paris liquider nos appartements et notre situation sociale. Nous sort?mes de la grande ville avec la joie un peu nerveuse du portefaix qui vient de délivrer ses épaules d'une charge très lourde. Nous nous étions débarrassés du siècle.
Dans le train qui nous emporta vers notre retraite de Saint-Germain, par Bayon (Meurthe-et-Moselle), nous méditions le chapitre xx du livre Ier de l'Imitation, qui traite ?De l'amour de la solitude et du silence?. Et pour nous délasser de la prodigieuse sensibilité de ce vieux moine, nous établissions notre budget (14.000 francs de rente). Malgré que l'odeur de la houille et les visages des voyageurs, toujours, me bouleversent l'estomac, l'avenir me paraissait désirable.
* * * * *
CHAPITRE II
MéDITATION SUR LA JOURNéE DE JERSEY
Cette journée de Jersey fut puérile en plus d'un instant, et pas très nette pour moi-même. Comment accommoder cette haine mystique du monde et cet amour de l'agitation qui me possèdent également! C'est à Jersey pourtant, nerveux qui chicanions au bord de l'Océan, que j'approchai le plus d'un état héro?que. Je tendais a me dégager de moi-même. L'amour de Dieu soulevait ma poitrine.
Je dis Dieu, car de l'éclosion confuse qui se fit alors en mon imagination, rien n'approche autant que l'ardeur d'une jeune femme, chercheuse et comblée, lasse du monde qu'elle ne saurait quitter et qui, dévote, s'agenouille en vous invoquant, Marie Vierge et Christ Dieu! Ces créatures-là, puisqu'elles nous troublent, ne sont pas parfaites, mais la civilisation ne produit rien de plus intéressant. Les vieux mots qui leur sont familiers embelliront notre malaise, dont ils donnent en même temps une figure assez exacte.
Hélas! les contrariétés d'où sortit mon état de grace, je vois trop nettement leur médiocrité pour que mon rêve de Jersey n'ait très vite perdu à mes yeux ce caractère religieux que lui conservent mes vocables. Jamais rien ne survint en mon ame qui ne f?t embarrassé de mesquineries. Amertume contre ce qui est, curiosité dégo?tée de ce que j'ignore, voilà peut-être les tiges flétries de mes plus belles
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.