Le culte du moi 1 | Page 8

Maurice Barrès
se greffe sur le Moi pour en devenir une parcelle vivante. C'est aux manuels sp��ciaux de raconter o�� jette sa gourme un jeune homme, sa biblioth��que, son installation �� Paris, son entr��e aux Affaires ��trang��res et toute son intrigue: nous leur avons emprunt�� leur langage pour ��tablir les concordances, mais le but pr��cis que je me suis pos��, c'est de mettre en valeur les modifications qu'a subies, de ces passes banales, une ame infiniment sensible.
Celui de qui je d��cris les apprentissages ��voquerait peut-��tre dans une causerie des visages, des anecdotes de jadis: il les inventerait �� mesure. Certaines sensibilit��s toujours en ��moi vibrent si violemment que la poussi��re ext��rieure glisse sur elles sans les p��n��trer.
J'ai repouss�� ce badinage, que par fausse honte ou pour qu'on admire l'apaisement de notre maturit��, nous affectons souvent au sujet de ?nos illusions de jeunesse?; mais je me d��fiai aussi de pr��ter l'acret��, o�� il atteignit sur la fin, �� ma description de ses premi��res ann��es, si belles de confiance, de tendresse, d'h��ro?sme sentimental.
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Chaque vision qu'il eut de l'univers, avec les images interm��diaires et son atmosph��re, se r��sumant en un ��pisode caract��ristique;
les sc��nes premi��res, vagues et un peu abstraites pour respecter l'effacement du souvenir et parce qu'elles sont d'une minorit�� d��fiante et qui poussa tout au r��ve;
de petits traits choisis, plus abondants �� mesure qu'on approche de l'instant o�� nous ��crivons;
enfin dans une soir��e minutieuse, cet analyste s'abandonnant �� la boh��me de son esprit et de son coeur:
Voila ce qu'il aurait fallu pour que ce livre reproduis?t exactement les cinq ann��es d'apprentissage de ce jeune homme, telles qu'elles lui apparaissent �� lui-m��me depuis cette page 277 et derni��re o�� nous le surprenons exigeant et lass�� qui contemple le tableau de sa vie.
Voil�� ce que je projetais, le curieux livret m��taphysique, pr��cis et succinct, que j'aurais fait prendre en amiti�� par quelques dandies misanthropes, r��vant dans un jour d'hiver derri��re des vitres gr��sill��es.
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Du moins ai-je d��crit sans malice d'art, en bonne lumi��re et sobrement. Je me suis d��cid�� �� manquer d'��loquence litt��raire; je n'avais pas l'onction, ni l'autorit�� des eccl��siastiques qui parl��rent en termes fortifiants des humiliations de la conscience. Annaliste d'une ��ducation, je fis le tour de mon sujet en poussant devant moi des mots amoraux et des phrases conciliantes. C'est ici une fa?on assez rare de catalogue sentimental.
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Mais pourquoi si lents et si froids, les petits traits d'analyse! Pourquoi les mots, cette pr��cision grossi��re et qui maltraite nos complications!
Au premier feuillet on voit une jeune femme autour d'un jeune homme. N'est-ce pas plut?t l'histoire d'une ame avec ses deux ��l��ments, f��minin et male? ou encore, �� c?t�� du Moi qui se garde, veut se conna?tre et s'affirmer, la fantaisie, le go?t du plaisir, le vagabondage, si vif chez un ��tre jeune et sensible? Que ne peut-on y voir? Je sais seulement que mes troubles m'offrirent cette complexit�� o�� je ne trouvais alors rien d'obscur. Ce n'est pas ici une enqu��te logique sur la transformation de la sensibilit��; je restitue sans retouche des visions ou ��motions, profond��ment ressenties. Ainsi, dans le plus touchant des po��mes, dans la Vita nuova, la B��atrice est-elle une amoureuse, l'��glise ou la Th��ologie? Dante qui ne cherchait point cette confusion y aboutit, parce qu'�� des ames, aux plus sensitives, le vocabulaire commun devient insuffisant. Il vivait dans une excitation nerveuse qu'il nommait, selon les heures, d��sir de savoir, d��sir d'aimer, d��sir sans nom--et qu'il rendit immortelle par des proc��d��s heureux.
Avec sa s��cheresse, cette monographie, ��crite malgr�� tout �� deux pas de l'_��den_ o�� je flanai tant de soirs, est aussi une partie d'_un livre de m��moires_.
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On pourra juger que ma probit�� de copiste va parfois jusqu'�� la candeur. J'avoue que de simples femmes, agr��ables et gaies, mais soumises �� la vision coutumi��re de l'univers qu'elles rel��vent d'une ironie facile, me firent plus d'un soir renier �� part moi mes poup��es de derri��re la t��te. Mais quoi! de la fatigue, une d��ception, de la musique, et je revenais �� mes nuances.
Saint Bonaventure, avec un grand sens litt��raire, ��crit qu'il faut lire en aimant. Ceux qui feuillettent ce br��viaire d'��gotisme y trouveront moins �� railler la sensibilit�� de l'auteur s'ils veulent bien r��fl��chir sur eux-m��mes. Car chacun de nous, quel qu'il soit, se fait sa l��gende. Nous servons notre ame comme notre idole; les id��es assimil��es, les hommes p��n��tr��s, toutes nos exp��riences nous servent �� l'embellir et �� nous tromper. C'est en ��coutant les l��gendes des autres que nous commen?ons �� limiter notre ame; nous soup?onnons qu'elle n'occupe pas la place que nous croyons dans l'univers.
Dans ses pires surexcitations, celui que je peins gardait quelque lueur de ne s'��mouvoir que d'une fiction. Hors cette fiction, trop souvent sans douceur, rien ne lui ��tait. Ainsi le voulut
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