Le conte futur | Page 2

Paul Adam
et des donjons flamboyants.
--Regardez; cela forme un grand cercle étendu selon un périmètre fixe.
--Sous les canons de la cité octogone dont voici, à ras de terre, les remparts.
--Il faut de la prudence, Philippe, avec ce peuple de pauvres; car il lui arrive de s'exaspérer.
--Descendons-nous? Nous nous promènerons devant les petites maisons si closes, où habitent les familles des magistrats, des percepteurs, des fonctionnaires... que sais-je?...
--Réveillez-vous, colonel.... Quarante minutes d'arrêt pour la douane.... Nous allons nous dégourdir les jambes....
--Hé quoi! fit le colonel.... Sommes-nous à la frontière?
--Peu s'en faut... vous le savez bien: voici la dernière station avant le Fort.
--Diable.... Tenez: à gauche, la maison en briques rouges... où l'on aper?oit des primevères dans le petit parterre, hein?... C'est la demeure du bourreau....
--Ah! ah!... la demeure du bourreau.... Il y a beaucoup d'assassins parce qu'on mange peu.
--Et puis le peuple manque de distractions....
?Au fait, pense Philippe, si rien n'altère les traits de ma face, ni ne décèle ma douleur à leurs yeux, c'est que je m'exagère ma souffrance.... Il faut croire que le malheur ne m'accable pas.... Pourtant il y a comme des cailloux sur ma poitrine quand elle se soulève pour le jeu de respirer...?
Ils vont donc en promenade.
Au pinacle de la cathédrale rococo, le symbole divin du supplice, la croix de fer, impose son signe sur des rues étroites et dures où circule la vie de la cité. Elles mènent du beffroi roidi dans ses dentelles de pierre aux casernes et aux lupanars, à un théatre d'architecture attique, à un palais de justice Louis XV, à un h?pital de style Empire, à une prison très vaste et très simple, ornée seulement de quelques capucines entretenues, sur une croisée, par la femme du concierge. Ils rencontrent encore vers la citadelle, des manutentions et des magasins de guerre, des petits soldats imberbes qui, sous leurs longues capotes sanglées, ressemblent à des servantes en cotillons, et des officiers éperonnés, moustachus, ronds comme des oeufs, ou bien, fins comme des épis, avec de courtes cravaches à l'aisselle.
Large, bien balayé, éclairé de globes électriques, le boulevard traverse la ville entre des bazars somptueux, qui alternent avec des palais pour Compagnies d'assurances, Sociétés métallurgiques, banques de crédit. Il s'y promène des messieurs évidemment orgueilleux de leurs soucis et des femmes promptes à aimer pour l'avantage de leur bourse ou de leur coeur. Il y court des gaillards chargés de ballots et légèrement ivres. Les étoffes des robes se drapent en harmonie dans les voitures.
Le boulevard conduit hors de la ville, jusqu'à la gare. Après, il devient grand'route et suit, à peu près parallèlement, la direction de la voie ferrée. Les trains franchissent assez vite la région des Hauts-Fourneaux.... On passe entre des ruches humaines (briques br?lées, tuiles rouges, ciments).... Le colonel a repris son somme dans le coin de droite....
--Là, mon commandant, là, dit Philippe: les enfants qui grouillent à terre.... on dirait un essaim de mouches sur une ordure.
--Oh! Philippe, pourquoi parler ainsi des enfants?
--Le linge que lessive cette vieille hideuse dans le baquet... ah! ah!... il se déchire.... Quelle mine désolée!... En vérité, ce linge s'est déchiré jusque dans mon coeur.
--Pourquoi donc parler ainsi?
--Rirez-vous cependant de cette mère si occupée.... A la fois, elle allaite du sein, mouche d'une main, gifle de l'autre, gronde de la bouche, berce du pied et rit de l'oeil au facteur qui passe.... Ces fillettes qui pleurnichent en épluchant des légumes, en tirant l'eau du puits; rirez-vous de leur laideur!... Et les adolescentes qui se nouent des rubans sales dans leurs maigres cheveux....
--Philippe, pourquoi lorgnez-vous le monde avec un verre noir?
--On ne voit pas de vieillards, mon commandant, dans cette cité de pauvres....
--Non... c'est vrai... on n'en voit pas....
--Mais il y a partout de petits cimetières carrés.... Un, deux, trois....
--On ne voit pas non plus les adultes.... Philippe.
--Ils demeurent apparemment tous dans la flamme féerique qui ronfle parmi les cris du métal, sous les d?mes des usines....
--Les estaminets aussi paraissent pleins de feux de pipes....
--La douleur s'endort dans l'abrutissement....
--Elle vous a tout dit aussi à vous, Philippe, Philomène vous a tout dit... et voilà que vous reflétez son ame presque autant que la reflète sa petite soeur Francine....
Le cornette se détourne. Il regarde au carreau du wagon. Le plateau devient une bande bossuée de roches. Des fougères géantes y croissent. Peu à peu, le sol verdit. Les arbustes se pressent. Des treillis de fer gardent les faisans dans les chasses. Tout le long, afin de les empêcher de sortir, des gamins sifflent. L'air un peu vif a rendu violets leurs visages creux. Un garde les surveille.
La forêt va na?tre. Elle court déjà sur les collines de l'horizon. Cependant, les cris du métal poursuivent la fuite du train.
Quand ils cessent, on a franchi bien des lieues bordées de bouleaux et de frênes, entrevu bien des clairières où s'attardent les
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