Le comte de Monte-Cristo, Tome III | Page 5

Alexandre Dumas, père
je suis plus avancé que vous.
--Vous l'avez vu?
--Oui, une fois.
--Où cela?
--Ah! justement voici ce que je ne puis pas vous dire; vous seriez aussi
savant que moi, et c'est inutile.
--Et cette lettre vous disait?...
--Lisez.»
«Vous êtes pauvre, et vous n'avez qu'un avenir misérable: voulez-vous
avoir un nom, être libre, être riche?»
--Parbleu! fit le jeune homme en se balançant sur ses talons, comme si
une pareille question se faisait!
«Prenez la chaise de poste que vous trouverez tout attelée en sortant de
Nice par la porte de Gênes. Passez par Turin, Chambéry et
Pont-de-Beauvoisin. Présentez-vous chez M. le comte de Monte-Cristo,

avenue des Champs-Élysées, le 26 mai, à sept heures du soir, et
demandez-lui votre père.
«Vous êtes le fils du marquis Bartolomeo Cavalcanti et de la marquise
Olivia Corsinari, ainsi que le constateront les papiers qui vous seront
remis par le marquis, et qui vous permettront de vous présenter sous ce
nom dans le monde parisien.
«Quant à votre rang, un revenu de cinquante mille livres par an vous
mettra à même de le soutenir.
«Ci-joint un bon de cinq mille livres payable sur M. Ferrea, banquier à
Nice, et une lettre d'introduction près du comte de Monte-Cristo, chargé
par moi de pourvoir à vos besoins.
«SIMBAD LE MARIN.»
«Hum! fit le major, c'est fort beau!
--N'est-ce pas?
--Vous avez vu le comte?
--Je le quitte.
--Et il a ratifié?
--Tout.
--Y comprenez-vous quelque chose?
--Ma foi non.
--Il y a une dupe dans tout cela.
--En tout cas, ce n'est ni vous ni moi?
--Non, certainement.

--Et bien, alors!...
--Peu nous importe, n'est-ce pas?
--Justement, c'est ce que je voulais dire, allons jusqu'au bout et jouons
serré.
--Soit; vous verrez que je suis digne de faire votre partie.
--Je n'en ai pas douté un seul instant, mon cher père.
--Vous me faites honneur, mon cher fils.»
Monte-Cristo choisit ce moment pour rentrer dans le salon. En
entendant le bruit de ses pas, les deux hommes se jetèrent dans les bras
l'un de l'autre; le comte les trouva embrassés.
«Eh bien! monsieur le marquis, dit Monte-Cristo, il paraît que vous
avez retrouvé un fils selon votre coeur?
--Ah! monsieur le comte, je suffoque de joie.
--Et vous, jeune homme?
--Ah! monsieur le comte, j'étouffe de bonheur.
--Heureux père! heureux enfant! dit le comte.
--Une seule chose m'attriste, dit le major; c'est la nécessité où je suis de
quitter Paris si vite.
--Oh! cher monsieur Cavalcanti, dit Monte-Cristo vous ne partirez pas,
je l'espère, que je ne vous aie présenté à quelques amis.
--Je suis aux ordres de monsieur le comte, dit le major.
--Maintenant, voyons, jeune homme, confessez-vous.
--À qui?

--Mais à monsieur votre père; dites-lui quelques mots de l'état de vos
finances.
--Ah! diable, fit Andrea, vous touchez la corde sensible.
--Entendez-vous, major? dit Monte-Cristo.
--Sans doute que je l'entends.
--Oui, mais comprenez-vous?
--À merveille.
--Il dit qu'il a besoin d'argent, ce cher enfant.
--Que voulez-vous que j'y fasse?
--Que vous lui en donniez, parbleu!
--Moi?
--Oui, vous.»
Monte-Cristo passa entre les deux hommes.
«Tenez! dit-il à Andrea en lui glissant un paquet de billets de banque à
la main.
--Qu'est-ce que cela?
--La réponse de votre père.
--De mon père?
--Oui. Ne venez-vous pas de laisser entendre que vous aviez besoin
d'argent?
--Oui. Eh bien?

--Eh bien! il me charge de vous remettre cela.
--A compte sur mes revenus?
--Non, pour vos frais d'installation.
--Oh! cher père!
--Silence, dit Monte-Cristo, vous voyez bien qu'il ne veut pas que je
dise que cela vient de lui.
--J'apprécie cette délicatesse, dit Andrea, en enfonçant ses billets de
banque dans le gousset de son pantalon.
--C'est bien, dit Monte-Cristo, maintenant, allez!
--Et quand aurons-nous l'honneur de revoir M. le comte? demanda
Cavalcanti.
--Ah! oui, demanda Andrea, quand aurons-nous cet honneur?
--Samedi, si vous voulez... oui... tenez... samedi. J'ai à dîner à ma
maison d'Auteuil, rue de la Fontaine, n°28, plusieurs personnes, et entre
autres M. Danglars, votre banquier, je vous présenterai à lui, il faut bien
qu'il vous connaisse tous les deux pour vous compter votre argent.
--Grande tenue? demanda à demi-voix le major.
--Grande tenue: uniforme, croix, culotte courte.
--Et moi? demanda Andrea.
--Oh! vous, très simplement: pantalon noir, bottes vernies, gilet blanc,
habit noir ou bleu, cravate longue; prenez Blin ou Véronique pour vous
habiller. Si vous ne connaissez pas leurs adresses, Baptistin vous les
donnera. Moins vous affecterez de prétention dans votre mise, étant
riche comme vous l'êtes, meilleur effet cela fera. Si vous achetez des
chevaux, prenez-les chez Devedeux; si vous achetez un phaéton, allez
chez Baptiste.

--À quelle heure pourrons-nous nous présenter? demanda le jeune
homme.
--Mais vers six heures et demie.
--C'est bien, on y sera», dit le major en portant la main à son chapeau.
Les deux Cavalcanti saluèrent le comte et
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