béante, tandis que les gamins me couraient après avec des cris de joie si per?ants que j'en fus abasourdi.
* * * * *
Bient?t je vis diverses femmes rentrer précipitamment dans leurs maisons. Orgueilleux! j'attribuais cette brusque retraite à l'effroi inspiré par le cadavre de ?mon? renard, dont le museau sanglant pendait à quelques centimètres de ma ceinture.
Je ne tardai pas à être détrompé.
Les ménagères sortirent l'une après l'autre. L'une m'apporta douze oeufs dont j'emplis ma casquette; l'autre vint me donner une paire de poulets que je pendis à mon bras; la troisième me chargea d'une botte de carotte, la quatrième d'un lapin vivant...
Je n'étais pas arrivé au milieu de la rue, que je succombai sous le fardeau.
Un jeune homme se chargea de la moitié de ces présents, et je pus continuer ma route.
Il e?t fallu me voir, ainsi transformé en garde-manger ambulant avec mes poules, mes oeufs, mes carottes et surtout mon renard, que je n'avais point voulu donner à mon complaisant compagnon.
Je croyais d'abord que l'on voulait me mystifier, mais les sourires gracieux, les compliments à br?le-pourpoint et les caressantes flatteries que tout le monde m'adressait me tournèrent la tête.
Lorsque mon oncle rentra, cinq minutes après moi, il riait à gorge déployée.
--Eh bien, petit, me dit-il, trouves-tu que ce soit agréable déporter un renard?
--Certes, mon oncle!
Je lui montrai mon butin.
--Qu'allons-nous faire de tout cela? demandai-je.
--La belle question! ce sont des cadeaux qu'on te fait, petiot; une prime semblable est donnée à tous ceux qui tuent le renard. C'est un usage établi depuis des siècles et dont on trouve le premier exemple dans la Chronique du chanoine Agrald, en 1221. Cette chronique, écrite sur parchemin...
Je me hatai de fuir, craignant une nouvelle averse d'érudition.
III
?Le moi est ha?ssable,? a dit Pascal.
Aussi je dois cesser de parler autant de ma chétive personne. J'ai, du reste, entrepris un portrait, il faut que je l'achève. Je laisse là mon oncle, son neveu et le renard susdit, pour faire poser mon modèle et commencer mon esquisse.
Il est inutile, je pense, de donner ici quelques détails sur le quadrupède auquel nous avons affaire.
L'ours des Alpes est le même que celui des Pyrénées et des Asturies, selon le dire de la plupart des naturalistes. Cependant Cuvier prétend le contraire. Cet animal se tient dans les montagnes boisées ou dans les amas de rochers situés vers les c?mes de certains escarpements des Alpes; il vit de racines, de fruits acides, comme l'épine-vinette, la ronce et la buxerole. C'est un grand dévastateur de ruches et de fourmilières: il mange le miel des unes et les habitantes des autres. Sa vie est solitaire.
Il n'attaque point l'homme, si ce n'est quand il est provoqué.
Voilà, mes chers lecteurs, tout ce que mes faibles connaissances en histoire naturelle me permettent de vous dire sur le sauvage souverain de nos montagnes.
Ce n'est point chose facile que de chasser l'ours.
On ne le tue point avec une balle, comme le premier lièvre venu. Nos chasseurs chargent leurs fusils avec des chevrotines, dont la forme est celle des dents d'un rateau.
Ces sortes de balles sont de forme conique, pointues à une extrémité, arrondies à l'autre; elles ne sont point de plomb, mais de fer. Les bourres sont des rondelles découpées dans le feutre d'un vieux chapeau.
Ce fut à La Chambre que je vis pour la première fois un chasseur d'ours de profession. Puisque je dois vous instruire, tout en vous amusant, je puis bien vous dire en passant ce que c'est que le bourg de La Chambre.
Il est situé dans une vallée riante et fertile, à quelques kilomètres de Saint-Jean-de-Maurienne, et faisait autrefois partie du domaine temporel des évêques de ce diocèse. Jadis cette vallée inculte fut entièrement défrichée par les Bénédictins. La Chambre fut érigée en comté en 1456 et en marquisat en 1553, en faveur de la maison de Seyssel, qui fournit un nombre infini d'illustrations: cardinaux, évêques, maréchaux de Savoie, lieutenants-généraux du duché, chevaliers de l'Annonciade, etc.
Ruiné en partie sous le duc Charles Ier, le chateau de La Chambre fut entièrement détruit par le roi Fran?ois Ier de France, en 1536.
Donc ce fut à La Chambre, un jour de marché, que je vis pour la première fois Fran?ois Guigonnet, plus familièrement appelé Guignon, chasseur d'ours de son état. Il y a de cela deux ans. Si vous saviez ce que c'est qu'un jour de marché à La Chambre!
Il y avait des Villarmeches en robes noires rayées de galons bleus; chaque galon représente un sac de mille francs, faisant partie de la dot de la fille; il y avait de grosses rougeaudes, aux bras nus, aux cheveux crépus, habitantes des Cuines; il y avait des filles des Beauges, dont la beauté orientale, la démarche lente et grave dénoncent l'origine sarrazine. Que sais-je? toutes les races de la Maurienne se confondaient pêle-mêle sur le pré que
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