point à venir.
--Un matin donc, reprit mon oncle, nous nous dirigeames vers les tours de Montmayeur. Nous étions six, en y comprenant ma petite chienne Blondette, qui était bien la bête la plus intelligente que j'aie connue. Elle me suivait pas à pas.
Comme je ne pouvais point marcher aussi lestement que mes grands cousins, j'allai tranquillement, suivant à dix pas mon cousin Camille.
Voilà que tout à coup...
--Bon! interrompis-je encore, nous y sommes! mon oncle me jeta un regard sévère et reprit:
--.... Blondette se fourvoie dans un buisson et lance un lièvre qui passe entre mes jambes. Je me serais taxé de présomptueux si l'idée m'était venue de tirer un lièvre à la course. Blondette détala à la suite de l'animal aux longues oreilles, et me voilà parti après ma chienne, brandissant mon fusil au-dessus de ma tête.
Mes cousins s'étaient arrêtés et riaient de tout leur coeur.
--Bravo, petit! me criaient-ils, bravo!
Au lieu de venir à mon secours, ces badauds riaient et me contemplaient, bouche béante.
Le lièvre courait toujours, Blondette aboyait, moi, je commen?ais à perdre haleine.
Enfin ce bon lièvre vint se jeter dans un champ de pommes de terre. Mes cousins arrivèrent; mais je réclamai l'honneur de tirer le premier coup, et profitant d'un moment où le lièvre laissait passer ses oreilles derrière les feuilles, j'envoyai ma charge tout entière..... dans les mollets de mon cousin André.
Ma foi! je fis comme les cousins de mon oncle, j'éclatai de rire, tant et si fort, que mon accès d'hilarité dura cinq bonnes minutes.
Il faut si peu de chose pour faire rire les enfants! Quand j'eus ri tout à mon aise, Hilarion Bruno recommen?a son récit.
--Tu dois penser quels cris d'épouvante furent poussés de c?té et d'autres. Les échos, de la montagne en retentissaient... Je crus avoir commis un meurtre, et je me mis à fuir. Mes cousins m'arrêtèrent en poussant un grand cri.
[Illustration: L'OURS.]
Je levai la tête...
A dix pas de moi, un ours de la plus belle taille s'amusait à fourrager dans un magnifique champ d'avoine. A notre vue, il huma l'air, grogna et s'enfuit dans la direction de la montagne.
Je m'élan?ai à sa poursuite... Un coup de feu retentit... une balle siffla à mon oreille et je vis l'ours s'affaisser en poussant un gémissement lamentable.
Mes cousins m'expliquèrent alors que le champ était entouré d'une corde supportée par des piquets plantés de distance en distance. Un fusil y était adapté, disposé de manière à faire feu pour peu que l'on touchat la corde tra?tresse.
--Et le mollet du cousin! demandai-je en souriant.
--Bah! répondit Hilarion Bruno, le mollet du cousin était protégé par de fortes guêtres, et le plomb n'avait touché que le cuir.
--Et c'est votre première chasse à l'ours? mon oncle.
--Oui, neveu. Mais depuis lors j'en ai vu bien d'autres!
--Vraiment?
--Oui! j'ai chassé le renard en Angleterre, le loup en Russie, l'ours blanc dans les mers du Nord, le lion en Afrique, la panthère à Java, le tigre dans les Indes et l'homme dans les pampas américaines!
--L'homme!!!
--Le Peau-Rouge, neveu. Il est certains cas où il vaut mieux chasser qu'être chassé!
Je vous l'ai déjà dit, mon oncle Hilarion Bruno avait un faible pour les sentences philosophiques.
--Si tu veux, Charles, me dit-il quand je le quittai, nous irons demain faire une partie de chasse.
--Oh! merci, merci, je n'aime point les ours.
Il haussa les épaules:
--Comme on élève les jeunes gens aujourd'hui! murmura-t-il avec un sourire de piété. Eh bien! nous nous contenterons de tirer le renard.
Cette fois, je ne pus que m'incliner.
--Sais-tu au moins tenir un fusil?
La modestie n'est pas mon fort:
--Ah! mon oncle, répondis-je, mieux qu'une plume, à coup s?r!
II
Le lendemain, nous part?mes à l'aube pour aller chasser le renard du c?té d'Aiguebelle.
Aiguebelle est un gros village, un petit bourg dont l'unique prétention a toujours été de se donner comme une ville. C'est la patrie par excellence du commérage et des plaisirs champêtres. On y décore toutes choses d'un nom pompeux: la mairie devient H?tel-de-Ville, et la justice de paix est un palais-de-justice. Les habitants n'appelleront jamais leur pasteur: ?Monsieur le curé?, mais bien: ?Monsieur l'archiprêtre?. Soyez avocat, médecin, notaire, professeur; ce titre suivra chaque fois le mot monsieur quand on s'adressera à votre personne.
Aiguebelle est formé d'une seule rue qui n'est autre chose que la grand'route sur les deux c?tés de laquelle s'alignent des maisons à peintures prétentieuses, à balcons ambitieux.
L'H?tel-de-Ville étale avec orgueil son pignon pointu et son badigeon couleur beurre frais entre deux maisons d'un gris sombre, que l'on m'a dit appartenir à deux notabilités du pays.
La rue est pourvue de trottoirs boueux et de candélabres en simili-bronze dans lesquels br?le un simili-gaz obtenu à l'aide du pétrole.
L'église menace ruine: elle était jadis assez belle, mais l'on y voit maintenant les traces du temps.
Hatons-nous de le dire, ce bourg, si humble et si petit en apparence, a son histoire que lui envieraient certaines grandes
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