Le capitaine Paul | Page 7

Alexandre Dumas, père
bien, voilà tout... Vous avez fait une pièce: jouons-la.
-- Bon!... pour qu'il lui arrive ce qui est arrivé à Don Juan.
Harel prit une énorme prise: c'était son moyen d'attente, chaque fois qu'un moment d'embarras l'empêchait de répondre à l'instant même.
-- Don Juan, dit-il, Don Juan... certainement, c'était un bel ouvrage; mais, mon cher, voyez-vous, il y avait des vers.
-- Pas beaucoup.
-- C'est vrai... Eh bien, si peu qu'il y en avait, ils ont fait du tort à l'ouvrage...
Le Capitaine Paul n'est pas en vers, n'est-ce pas?
-- Non; tranquillisez-vous.
-- Il y a un r?le... pour George... m'a-t-on...
-- Oui; mais probablement qu'elle n'en voudra pas.
-- De vous, mon ami, elle le prendra les yeux fermés. Et pourquoi n'en voudrait-elle pas?
-- Pour deux raisons.
-- Dites.
-- La première, parce que c'est un r?le de mère.
-- Elle ne joue que cela! Voyons la seconde raison.
-- La seconde, parce qu'elle a un fils.
-- Après?
-- Et qu'elle ne voudra jamais être la mère de Bocage.
-- Bah! elle a bien été la mère de Frédérick.
-- Oui; mais le r?le de Gennaro n'avait pas l'importance du r?le du Capitaine Paul; elle dira que la pièce n'est point à elle.
-- Bon! et la Tour de Nesle! la pièce était à elle peut-être! elle l'a jouée hier pour la quatre cent vingtième fois. à quand la lecture?
-- Vous le voulez, Harel?
-- Je vous apporte un traité: mille francs de prime, dix pour cent de droits, soixante francs de billets; tenez, vous n'avez plus qu'à signer.
-- Merci. Harel: nous lisons demain, mais sans traité.
-- Nous lisons demain?
-- Oui.
-- Qui voulez-vous à la lecture?
-- Mais vous, George et Bocage, voilà tout.
-- à quelle heure?
-- à une heure.
-- Est-ce long?
-- Trois heures de représentation.
-- C'est la bonne mesure, on peut jouer trois actes avec cela.
-- Et même cinq.
-- Hum! hum!
-- Vous en avez bien joué sept avec la Tour de Nesle.
-- C'était dans les jours néfastes; mais ces jours-la sont passés, Dieu merci!
-- Vous êtes toujours chef de bataillon dans la garde nationale?
-- Toujours.
-- Je ne m'étonne plus de la tranquillité de Paris. à demain.
-- à demain.
Le lendemain, à une heure, nous étions dans le boudoir de George; George toujours belle et couchée dans ses fourrures, Bocage toujours blagueur, Harel toujours spirituel.
-- Eh bien, me dit Bocage, vous voilà donc, vous?
-- Oui, me voilà.
-- Qu'est-ce qu'on me dit? on me dit que vous avez découvert la Méditerranée?
-- On a bien fait de vous le dire, mon ami; vous n'auriez pas trouvé cela tout seul.
-- Et, à ce qu'il para?t, vous avez fait un r?le pour George?
-- J'ai fait une pièce pour moi.
-- Comment, pour vous?
-- Ce qui veut dire qu'elle ne sera probablement pas du go?t de tout le monde.
-- Pourvu qu'elle soit du go?t du public.
-- Vous savez que ce n'est pas toujours une raison pour qu'elle soit bonne.
-- Enfin, nous allons voir.
-- Lisons, lisons, dit Harel.
La place me portait malheur. C'était à la même place que j'avais lu Antony à Crosnier.
Après le premier acte, qui est assez brillant et tout entier au Capitaine Paul, Bocage s'était frotté les mains et s'était écrié:
-- Eh bien, le voyageur, il n'est donc pas encore si usé qu'on le dit?
Ainsi, voyez, chers lecteurs, en 1836, il y a juste vingt-cinq ans de cela, on disait déjà que j'étais usé.
Mais, dès ce premier acte, tout au contraire, George avait commencé de s'assombrir.
-- Mon cher Harel, dis-je en souriant, je crois que le baromètre est à la pluie.
-- Il faudra voir, dit Harel, il faudra voir. On ne peut pas juger d'après un premier acte.
Comme je l'avais prévu, le baromètre passa de la pluie à l'averse, de l'averse à l'orage, et de l'orage à la tempête.
Le pauvre Harel était au supplice: il entassait prises sur prises.
Au troisième acte, il sonna pour qu'on lui rempl?t sa tabatière.
George ne soufflait pas le mot.
Bocage commen?a à me trouver plus usé que le public n'avait dit.
La lecture finit au milieu de la consternation générale.
-- Eh bien, fis-je à Harel, je vous l'avais bien dit.
-- Le fait est, mon cher, dit Harel en se bourrant le nez de tabac, le fait est que, cette fois, là, franchement, il faut vous dire ces choses-là en ami, je crois que vous vous êtes trompé.
-- C'est l'avis de George surtout; n'est-ce pas, George?
-- Moi... vous savez bien que je n'ai pas d'avis. Je suis engagée au théatre de M. Harel; je joue les r?les qu'on me distribue.
-- Pauvre victime! Eh bien, rassurez-vous, ma chère George, vous ne jouerez pas celui-là.
-- Cependant je ne dis pas qu'en faisant quelques corrections...
-- En coupant le r?le du capitaine Paul, par exemple?
-- Allons, bien, voilà que vous pensez que je ne veux pas jouer le r?le à cause de M. Bocage.
-- Vous ne voulez pas jouer le r?le parce qu'il ne vous convient pas, chère amie, voilà tout. J'ai prévenu
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